ROMAN HISTORIQUE ADO — S’emparant d’une anecdote historique réelle, mais qui laissait somme toute une certaine liberté romanesque, Sharon E. McKay nous livre un roman ado d’aventure bien ficelé, qui traite aussi bien de liberté, de féminisme que de religion. Aujourd’hui, nous vous parlons d’Esther, paru aux éditions L’école des loisirs !
Esther Brandeau est née dans le quartier juif de Saint-Esprit, une petite ville du sud de la France, au début du XVIIIe siècle. Fille d’un négociant aisé, Esther vit plus ou moins recluse en attendant le mariage : il faut dire qu’à l’époque, les rues étaient très dangereuses pour une jeune fille, juive de surcroît. De la chambre qu’elle partage avec une soeur maussade, Esther n’ose rêver de voir le monde. Son destin bascule lorsqu’elle met, bien malgré elle, en péril sa réputation. Son père parvient à lui trouver un mari, mais celui-ci ne consent à l’union que si Esther part se mettre au vert quelques temps à Amsterdam.
Seulement voilà : le bateau sur lequel la jeune fille embarque direction les Pays-Bas fait naufrage le long de la côte basque. Cet événement tragique va permettre à la jeune Esther de commencer une nouvelle vie…
Aventureuse, courageuse et débrouillarde, Esther va même multiplier les existences : le lecteur la suit avec intérêt pendant ces pérégrinations, la sentant plusieurs fois à la croisées des chemins. N’hésitant pas à se travestir pour voyager et travailler plus facilement, Esther court les routes, et le destin la mènera même sur les terres du Nouveau Monde, à Québec. Le plus fou dans cette histoire, c’est que la majeure partie de ce que nous conte Sharon E. McKay est vrai ! Esther est en effet restée dans l’histoire comme la première femme juive à avoir mis les pieds à Québec, à une époque où cette colonie française était totalement catholique et se refusait à accueillir des colons d’autres confessions.
À une époque où sa religion pouvait la mettre gravement en péril, Esther prend l’habitude de la dissimuler : cependant, quand on la presse de se convertir, la jeune femme réussit à sauvegarder sa liberté de culte. Esther, en réalité, à bien des égards, est un personnage épris de liberté : liberté de choisir sa vie, et de ne pas être seulement la femme d’un vieillard et la mère de ses enfants, liberté d’aller et venir, d’exercer les professions qui l’intéressent, liberté de culte… Même si pour cela, elle doit mentir et se cacher (en se faisant passer pour catholique et jeune homme), Esther arrive à mener plutôt bien sa barque, jusqu’à ce qu’elle soit démasquée à Québec. Le monde dans lequel elle évolue a beau lui être résolument hostile, Esther fait toujours preuve de beaucoup de courage et de ressources. Si le lecteur craint pour elle à plusieurs reprises au fil du récit, il devient rapidement confiant en la capacité de la jeune fille à se sortir des situations les plus périlleuses.
À l’histoire palpitante de la jeune Esther s’ajoute un contexte historique bien dépeint, ni trop (ce qui lasserait peut-être le jeune lecteur), ni trop peu. C’est la France sous Louis XV que le lecteur découvre avec ses philosophes des lumières qui brillent à Paris, la cour de Versailles que l’on devine de loin… Mais bien sûr, les détails les moins reluisants de l’époque ne nous sont pas épargnés, des bateaux négriers qui accostent dans les ports français à l’antisémitisme ambiant, en passant par la saleté, la misère, la maladie, les superstitions stupides et dangereuses des uns (on se souviendra de cet enfant qui a manqué de se faire brûler vif parce que sa famille était morte de la peste), et la joie crasse des autres après une pendaison (les mises à mort semblant être LE divertissement de l’époque). Dans ce monde chaotique, il n’est pas facile d’évoluer, surtout quand on est une femme, juive, et sans argent ni relations. Esther y parvient tout de même, et c’est avec plaisir que nous découvrons ses aventures !
Je suis toujours impressionnée par les choix éditoriaux des éditions l’Ecole des Loisirs. J’y ai fais aussi de très chouettes découvertes !