ROMAN HISTORIQUE JEUNESSE — La collection Livres et Égaux, chez Talents Hauts, propose des romans qui tordent le cou aux clichés ! Et c’est bien ce qu’a fait Serge Rubin avec La Révolution dans la peau. Ce professeur des écoles, amateur de littérature, de cinéma et de technologie nous fait découvrir comment a été vécue l’abolition de l’esclavage en Guadeloupe.
Guadeloupe, 1789. Fille et femme de planteurs de canne à sucre, Lucile mène une existence paisible et choyée, sa plantation tournant à merveille grâce au travail des esclaves que son marie utilise. Tout va donc pour le mieux. Jusqu’au jour où Rose, sa nourrice noire, esclave évidemment, lui avoue être sa véritable mère et l’avoir échangé à la naissance avec un enfant de planteurs. Pour Lucile, blanche de peau, c’est le choc : elle découvre qu’elle est une chabine – c’est-à-dire une femme à la peau blanche, mais issue de parents noirs ou métissés.
Dès lors, Lucile est confuse : peut-elle soutenir l’esclavage alors qu’elle est, elle-même, noire ? L’esclavage est-il réellement la seule disposition que peut connaître la société ? Justement, la situation en Guadeloupe n’est pas des plus simples : les nouvelles qui arrivent de France avec des mois de retard portent des relents de révolution et évoquent la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, selon laquelle tous les hommes naissent libres et égaux.
Mais aucun planteur ne s’avoue vaincu : si le cœur de Lucile balance, ceux de son père, de son mari, de l’ensemble de la société dans laquelle elle a grandi sont fixés. Ils lutteront, coûte que coûte, contre l’abolition de l’esclavage réclamée à cor et à cri par les révolutionnaires.
L’angle d’attaque choisi par Serge Rubin est original : si le thème de l’identité est souvent traité en littérature jeunesse, celui des chabins et de la découverte aussi renversante de ses origines l’est nettement moins.
Lucile est un personnage extrêmement intéressant : en digne fille de planteur, elle véhicule des idées profondément racistes et rétrogrades, sans jamais les questionner. Or, lorsque tout bascule, la jeune femme a du mal à faire cohabiter sa nouvelle identité réelle à toutes les valeurs morales qu’on lui a inculquées depuis son plus jeune âge. La confrontation amène donc son lot de questions, qui sont le véritable moteur de l’intrigue.
Celle-ci est riche en péripéties : des prémices de la révolution du système esclavagiste guadeloupéen à la révolte des esclaves d’Haïti en passant par le choc de la France post-révolutionnaire, il y a de quoi ne pas s’ennuyer : Lucile voyage, fait les frais de la bêtise et du racisme de ses congénères, s’interroge beaucoup, évolue.
On regrettera toutefois que le récit fasse de nombreuses ellipses qui, si elles permettent de le faire avancer, entraînent un certain manque de profondeur sur quelques développements et personnages. Mais cela ne gêne en rien une intrigue efficace et que l’on lit aisément.
La métamorphose de Lucile et le changement de sa pensée est absolument passionnant, tout en amenant le jeune lecteur à réfléchir. Si Lucile était si bien intégrée tant qu’on la pensait blanche, pourquoi risque-t-elle de devenir une paria dès lors qu’on la soupçonne d’être, en réalité, noire ? La situation ô combien particulière de la jeune femme suffit à montrer la bêtise de ce type de raisonnement.
Serge Rubin signe ici un petit roman idéal pour aborder la question du racisme avec de jeunes lecteurs : un texte fluide, une intrigue linéaire, mais un fond de réflexion passionnant qui devrait toucher les lecteurs dès 10 ans !
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