Destiny : une réécriture moderne de La Lettre écarlate ?

DYSTOPIE — Ce mois-ci, Hachette romans nous livre Destiny, une nouvelle dystopie signée Cecelia Ahern, à qui nous devons notamment la célèbre romance PS: I love you. Dans Destiny, la perfection est une véritable obsession : on estime que ce sont de mauvaises décisions qui ont précipité la crise économique qui a frappé le monde. Ainsi, la société punit ceux qui se trompent, mais également ceux qui mentent, ceux qui volent, ceux qui se sont montrés déloyaux ou se sont écartés du droit chemin. On marque au fer rouge les Imparfaits, à des endroits emblématiques, et on les met au ban de la société : les Imparfaits doivent porter un brassard rouge, rendre leur passeport, se plier à un couvre-feu, ne manger que des aliments insipides, ne peuvent être parents… C’est donc un sort peu enviable, mais pour Celestine, dix-sept ans, c’est une juste punition pour qui met en péril l’équilibre de son pays.

La vie de Celestine est objectivement parfaite : elle a d’excellentes notes, une famille équilibrée, et un petit ami aimant. Mais un jour, tout bascule. La voisine de Celestine, une femme bien sous tous rapports qui lui enseigne le piano, est embarquée par les Siffleurs, la police de la Guilde, qui détermine qui est Imparfait ou non. Celestine commence à douter : et si le système avait ses failles ? S’il était tout simplement… imparfait ? Il suffit d’un coup d’éclat dans un bus pour que Celestine se retrouve dans la ligne de mire de la Guilde…

Voilà une dystopie sympathique, portée par une héroïne malgré elle plutôt courageuse qui, du jour au lendemain, décide de se lever pour ce qu’elle croit être juste. Aucune préméditation ou dessein particulier dans l’acte de Celestine, qui lui vaut, subitement, de passer devant le tribunal de la Guilde : c’était juste de la logique, et de la compassion, expliquera-t-elle lors de son procès. Son cheminement est rendu de manière assez efficace, Celestine est d’abord naïve, elle en remet pas en question les choses, elle obéit aveuglément aux règles. Puis, peu à peu, elle ouvre les yeux, comme au sujet de son voisin, cet homme qu’elle aime beaucoup et qu’elle respecte mais qui, en tant que directeur de la Guilde, n’est pas aussi sympathique et admirable qu’elle le croit…

Destiny, Cecelia Ahern, Hachette romans

Cet homme, le juge Crevan, est l’exemple même du dirigeant qui, grisé par le pouvoir et l’influence qu’il a gagné, bascule du « mauvais côté de la force ». Cecelia Ahern a pourtant bien veillé à ne pas en faire un méchant monolithique : la première fois que nous le voyons, c’est en tant que voisin et ami, en tant que père du petit ami de Celestine, et non dans toute la pompe de sa fonction. Peu à peu, il révèle sa face sombre, celle qui s’affranchit des règles quand ça l’arrange, qui les modifie selon son bon vouloir…

Ces règles, on l’a compris, sont finalement très violentes : elles permettent d’ostraciser une partie de la population pour des choses qui ne sont parfois qu’une simple erreur de jugement. Marqués dans leur chair, et d’un brassard rouge (difficile de ne pas penser à La Lettre écarlate de Nathaniel Hawthorne et à ce A rouge vif qui orne la robe des femmes adultères), les Imparfaits deviennent des citoyens de second ordre, ignorés et moqués de tous : pire, si vous leur apportez votre aide, vous risquez la prison, ou de vous retrouver vous-même Imparfait. C’est là que réside la faille principale du système de Destiny : comment peut-on être Parfait si on fait preuve de mépris envers un autre être humain, jugé Imparfait par la société ? Si on oublie toute compassion, toute bonté ? Le dilemme vécu par Celestine le montre très bien : pour être jugée Parfaite, elle doit mentir… et donc de fait, selon les règles de la société, devenir au fond d’elle même Imparfaite… Il y a quelque chose de profondément hypocrite dans le système de Destiny : peut-être peut-on voir dans ce roman une réécriture moderne du roman d’Hawthorne ? On vous le dit tout net : il y a quelque chose de pourri au royaume de Destiny !

On saluera également le style particulièrement dynamique de Cecelia Ahern qui étreint le lecteur dès l’incipit du roman pour ne plus le lâcher : dès les premières pages, on veut savoir ce qui va arriver à Celestine, si elle va s’en sortir, et comment… Inutile de dire que l’on attend de fait la suite de pied ferme, car ce premier tome jette brillamment les bases d’une trilogie que l’on a hâte de découvrir : Cecelia Ahern ne brûle pas toutes ses cartouches dès le tome d’exposition, mais y instille suffisamment d’action pour intriguer le lecteur. Bien joué !

Destiny, Cecelia Ahern. Hachette romans, mai 2017. Traduit de l’anglais par Christophe Rosson.

A propos Emily Costecalde 1154 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

1 Commentaire

  1. A priori je trouvais l’idée de base plutôt capillotractée. En mode « je veux écrire une dystopie mais faut que je trouve une idée^^ »
    Malgré tout c’est exactement mon genre de lecture et ton avis me motive bien aussi. J’me le note. Merci!

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