BD — En Corse, on nomme Mazzeru l’homme ou la femme qui part chasser dans son sommeil et rapporte une prédiction de ses songes. Dans la gueule de la bête qu’il a tuée, le Mazzeru ou la Mazzera reconnaît une personne qui périra dans l’année. Victimes de leur don, ces devins malgré eux annoncent des évènements contre lesquels il est déconseillé d’agir. Mazzeru conte l’amour tragique de Cesario et Chilina dans l’arrière-pays corse, corseté de traditions et de croyances.
Mazzeru parle d’ensauvagement et d’amour impossible, sur le ton mélancolique de ceux qui connaissent la noirceur de la vie. C’est un ouvrage intimiste où la voix de l’auteur s’exprime à travers ses dessins. Pourtant, tout en se livrant, Jules Stromboni nous propose un cheminement qui nous est propre. Si le sentier est tracé, chacun peut le suivre dans le sens qu’il désire et trouver dans ce magnifique récit une multitude d’interprétations.
Mazzeru est une prouesse graphique. C’est aussi une démarche physique, l’auteur a voulu une technique contraignante, on pourrait le voir comme un voyage initiatique au cœur de son art.
Gravées au clou et encrées sur des plaques d’acétate transparentes, les images saignent en nuances de noir et de blanc la cruauté de la vie. Inspiré de croyances païennes, le récit se mêle de fantastique et de planches quasi chamaniques où le mazzeru danse la mort de l’animal qu’il a chassé pendant la nuit. Il y a quelque chose d’hypnotique dans cet ouvrage, qui nous plonge dans une sorte de transe, renforcée par l’absence quasi totale de paroles. Seules quelques lignes poétiques, semées ça et là au fil des pages, comme un refrain, une incantation.
Mazzeru est de ces œuvres singulières où les silences sont plus bruyants que les mots et résonnent d’une assourdissante colère.
Jules Stromboni explore les limites de l’inconscient et joue avec les codes pour nous livrer plus qu’une bande dessinée, une véritable œuvre graphique qui convoque un art sombre et étrange, dans la digne lignée d’Odilon Redon. La noirceur est partout, jusque dans le blanc qui semble sali, soulignée par quelques touches vibrantes de couleur lors des scènes de chasse.
En résumé, Mazzeru est une œuvre saisissante à ne surtout pas manquer.
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