ESSAI — Quand j’ai reçu ce livre, j’ai forcément été intriguée par le titre et le visuel de couverture extrêmement efficaces : ils font leur petit effet quand vous le sortez dans le métro parisien à l’heure de pointe. Rajoutons-en une couche avec l’accroche, sur la quatrième de couverture : et si nous étions finalement tous fous ? Oui, vraiment. De quoi se poser des questions…
Le récit de Jon Ronson nous entraîne hors des sentiers battus : c’est quoi être fou ? C’est quoi un psychopathe ? Vous vous êtes déjà peut-être posé la question. Peut-être avez-vous déjà prêté à quelqu’un des tendance psychopathiques (votre patron ? votre belle-mère ? qui sait…). Jon Ronson, fort de son succès avec Les Chèvres du Pentagone, a été appelé en renfort par une neurologue qui avait reçu un étrange paquet par la poste. Ce sera le point de départ d’une enquête quasi obsessionnelle sur la folie et la manière dont fonctionne le cerveau des psychopathes. Et c’est juste passionnant.
Jon Ronson se pose en effet la question suivante : on connaît bien l’impact tragique que peut avoir un psychopathe sur une famille, quand il se lance dans la voie du crime. On connaît ceux qui peuplent les prisons, à défaut de les comprendre. Mais quid des psychopathes qui tournent leur trouble et leur capacité vers le monde des affaires, vers la politique ? Ceux qui dirigent notre planète et impactent des milliers, voire des millions de gens ? Et si nos plus grands chefs d’états, les plus grands patrons étaient en réalité… atteints de troubles psychologiques ? Dans le cadre de son enquête, Jon Ronson va rencontrer des spécialistes : des psychiatres, dont l’inventeur du test du psychopathe, une liste qui permet de mesurer le degré de folie d’un individu. Il va aussi rencontrer des gens diagnostiqués psychopathes, ou d’autres qu’il soupçonne de l’être. Chaque entretien sera extrêmement fécond.
Croyez-le ou non, mais l’enquête de Jon Ronson se dévore comme un roman. Parce que son style est extrêmement fluide et efficace, bien sûr, mais aussi parce qu’il touche à quelque chose qui nous turlupine tous : la notion de normalité. Quand il explique qu’il existe un manuel de psychologie qui recense quelques 373 troubles mentaux et qu’il a commencé à le feuilleter en se demandant combien d’entre eux il pouvait s’attribuer… comment ne pas se reconnaître en lui, et avoir envie de faire la même analyse ? De prime abord, Jon Ronson semble peiner à garder de la distance dans son enquête. Il lui arrive d’orienter ses trouvailles de manière à ce qu’elles collent à ce qu’il croit juste. Il est parfois tellement sûr de lui qu’il va un peu trop vite en besogne. Mais dans la foulée, il se livre à une auto-analyse extrêmement bienvenue, et recadre son enquête. On comprend que celle-ci en dit long sur lui, comme sur le lecteur. Le tout est fascinant à observer, et fait aussi un peu froid dans le dos. Mais c’est aussi pour cela que vous avez choisi ce livre, n’est-ce pas ?
Voilà donc une lecture qui sort des sentiers battus. Malgré un sujet en apparence aride et déprimant (la folie et les grands tarés de ce monde), on se régale de bout en bout, aux côtés d’un narrateur extrêmement charismatique, que l’on suit dans son enquête avec grand plaisir. Chemin faisant, Jon Ronson n’hésite pas à remettre en cause la psychiatrie moderne, et le besoin de tout quantifier, de tout classifier, de tout soigner de notre époque. Combien de gens se sont vus attribuer un trouble psychologique, uniquement pour faire vendre un nouveau médicament ? Combien de pathologies ont été recensées, qui ne sont en fait qu’un élément de personnalité somme toute assez normal ? La question est posée et intrigue le lecteur. Et en même temps, combien de psychopathes dirigent le monde ? Voilà de quoi vous faire réfléchir.
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