Ceux du futur : état des lieux après une troisième guerre mondiale

POST-APOCALYPTIQUE — 2048. Une troisième guerre mondiale a ravagé notre planète. Marcelo et quelques autres ont survécu aux bombes atomiques en trouvant refuge dans un bunker sous Pékin, où ils vivent depuis une douzaine d’années. Des hommes et des femmes, de nationalités différentes, qui communiquent dans un anglais fonctionnel, et se côtoient au quotidien par nécessité. Comment, dans ces circonstances, ne pas se sentir seul, ne pas être tenté de ressasser le passé ? Pour s’occuper l’esprit, Marcelo lit inlassablement le dictionnaire. Il erre aussi sur ce qu’il reste d’Internet, regardant encore et encore les mêmes sites éternellement figés. Il parle à distance avec un autre rescapé. Et il essaie de ne pas penser à Thei, la seule adolescente du bunker, qui éveille en lui des fantasmes érotiques de plus en plus poussés.

Emprunt d’une profonde nostalgie, d’un désespoir certain (car au fond, il n’y a nul espoir de changement pour les habitants du bunker, confinés à cause des radiations du monde extérieur), Ceux du futur dépeint des personnages orphelins, à la fois de leurs proches, mais aussi du monde tel qu’ils l’ont connu. Leur univers se résume désormais à ce refuge souterrain, perpétuellement baigné d’une lumière jaune artificielle… mais jusqu’à quand ? Combien de temps dureront encore leurs réserves de nourriture, d’eau, de médicaments ? En dehors de Thei, ils ont tous plus de quarante-cinq ans : suffisamment vieux pour être encore en train de faire le deuil du dehors, trop pour espérer le revoir un jour. Jorge Carrión décrit admirablement la monotonie des jours qui passent et qui se ressemblent, l’ennui, le désespoir, les manières de tromper la dépression. Certains jouent aux échecs, se mutilent, s’abîment dans une routine de travail… Marcelo, lui, lit le dictionnaire, se noie dans les mots et leurs significations. Et il repense, inlassablement, aux circonstances qui ont menées le monde à la guerre, plus à la destruction.

Ceux du futur, Jorge Carrión, Seuil

Au commencement, la fascination des hommes pour le passé. Comme la première guerre mondiale a été lancée par un anarchiste qui a réussi son assassinat politique, la troisième est né d’un devoir d’histoire réalisé par un adolescent espagnol. Par un étrange effet boule de neige, que l’auteur détaille au fil des pages avec logique et maîtrise, le monde entier s’est pris de passion pour la réanimation historique. Des crimes ont été menés en son nom. Des entités meurtrières surgies du passé ont renoué avec le prison. Et à la fin, la troisième guerre mondiale a éclaté.

Roman post-apocalyptique, plus dans la contemplation et le souvenir que dans l’action, Ceux du futur induit un certain sentiment de malaise chez le lecteur : pour ces vies gâchées, pour la facilité avec laquelle le monde a basculé dans le chaos, pour la solitude intense qui sourd de la page. Pour cette passion dévorante digne de Lolita que voue Marcelo à Thei, tout juste treize ans, à peine femme, mais déjà en proie à la lubricité des hommes du bunker. Malaise donc, mais aussi une certaine admiration pour ces pages si bien écrites, qui parlent avec puissance du pouvoir de l’histoire et des mots. À vous de tenter l’expérience et de voir lequel de ces deux sentiments l’emportera chez vous.

Ceux du futur, Jorge Carrión. Seuil, 2017. Traduit de l’espagnol par Pierre Ducrozet.

A propos Emily Costecalde 1154 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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