ROMAN — Stéphane Marsan, dont le nom est d’ordinaire associé à celui des éditions Bragelonne, a lancé un nouveau label de littérature dite blanche. Une fille facile est un des premiers titres de cette nouvelle maison d’édition. Avec ce roman coup de poing, l’Irlandaise Louise O’Neill dénonce la culture du viol et le slut-shaming.
Emma est une lycéenne ravissante, qui fait tourner toutes les têtes. Les garçons la désirent et les filles la jalousent. Emma prend cette admiration comme un fait, quelque chose auquel elle est habituée. Elle évolue avec sa petite cour, et rêve de mannequinat.
Ça, c’est la première partie du roman, qui sert à nous présenter Emma et son petit cercle. Jusque là, tout a l’air anodin, et pour être honnête, on s’ennuie un peu. Il y a beaucoup de personnages, et on a la sensation que le récit est un peu brouillon, un peu inattendu. Si on ne sait pas vers quoi s’achemine le récit, en ayant lu le résumé par exemple, on se demande sérieusement où l’auteure veut en venir.
Puis arrive la soirée décisive, odieuse, terrible. La soirée qui fait basculer la vie d’Emma, le roman, et l’avis du lecteur. C’est le moment pivot qui fait d’Une fille facile un roman fort et nécessaire. Au cours d’une soirée comme les autres, Emma est droguée, et certains de ces camarades, qu’elle côtoyait au quotidien et dont elle ne se méfiait pas, profitent de son inconscience pour la violer, l’avilir et poster des photos très explicites de leurs exploits sur les réseaux sociaux. Du jour au lendemain, tout le lycée le voit, puis l’entourage d’Emma la pousse à porter plainte, et l’affaire devient tout bonnement nationale. La deuxième partie du roman s’attache donc à montrer ce que vit Emma après cette soirée : la dépression, la difficulté de se reconstruire, la culpabilité, l’impact sur l’entourage, sa vision de son propre corps.
C’est une Emma tout à fait différente qui hante ces pages : finie l’Emma solaire et sûre d’elle, c’est une Emma qui ne vit qu’à travers le prisme du traumatisme. Une Emma qui déteste son corps. Qui s’en veut de ce qu’elle fait vivre à ses parents, lesquels semblent au bord du chaos. On se croirait chez les Van de Kamp : la mère autrefois perfectionniste se laisse aller et boit un peu trop volontiers, le père est dans la fuite, le frère est en révolte. Et la fille, jadis parfaite, endosse le rôle de la « fille facile » que tous montrent du doigt, la « fille facile » qui a gâché la vie de « braves gars ». Emma est une victime, mais c’est elle que l’opinion blâme. Plutôt que de s’interroger sur le comportement immonde des garçons qui l’ont agressée, les médias, la justice, les voisins, les camarades de classe, tous, en somme, se posent plutôt la question des moeurs d’Emma : n’avait-elle pas, après tout, la cuisse leste ? Ne l’a-t-elle donc pas cherché ? Ne demandait-elle pas que ça ?
Forcément, cette image que lui renvoient les autres est désastreuse pour la jeune fille et Louise O’Neill montre à merveille l’évolution de la psychologie de l’héroïne. Tout est très juste et réfléchi dans cette partie du roman : l’auteure fait preuve de beaucoup de finesse dans sa description de l' »après ». C’est malheureusement une description réaliste de cette culture du viol, de ce monde dans lequel, quand une femme est agressée, on s’interroge principalement sur sa tenue ou sur son attitude, plutôt que sur le crime perpétré par son agresseur.
C’est donc une lecture malheureusement très réaliste : elle n’en est donc que plus nécessaire.
Une petite question : à partir de quel age peut on conseiller ce roman ?
Personnellement, pas avant 15/16 ans car il est très dur et assez cru. Il est d’ailleurs proposé en collection adulte.