ROMAN HISTORIQUE — Il y a des lectures qui tombent à point : peu avant de découvrir l’existence de ce roman, je me disais justement à quel point je connaissais mal l’histoire du Brésil, et à quel point j’apprécierais de découvrir un bon récit historique s’y déroulant. Et là, je tombe sur De mères en filles, qui réunit absolument tous les critères d’un roman pouvant me plaire : il s’agit en effet d’une fresque familiale (+1 point), qui court sur plusieurs siècles (+2 points), et qui se passe dans un pays lointain (jackpot !). À la manière de No Home, De mères en filles suit plusieurs générations, personnage par personnage.
L’histoire s’ouvre en 1500, avec l’arrivée des Portugais au Brésil et se termine de nos jours, dans un Brésil en pleine mutation. On ne suit que des personnages exclusivement féminins, extrêmement forts et bien construits, dont les vies se suivent au fil des pages et des décennies. Leur histoire familiale est à l’image de celle du Brésil : cette lignée est métissée, on y trouve du sang indien, européen, africain, on y trouve des esclaves et des propriétaires d’esclaves, des femmes pauvres et des femmes aisées, des femmes heureuses et des femmes malheureuses… même si celles-ci se trouvent indéniablement en proportion plus grande. Oui, avouons-le, le malheur de nos personnages fait de meilleurs romans que les destins fluides et heureux. Par ailleurs, l’époque, le lieu, l’Histoire : pendant longtemps, tout concourt à faire de la vie de nos héroïnes une véritable épreuve. Oui, ces femmes naissent parfois en temps de guerre, ou à une époque où la vie n’a pas grande valeur. Ou à une période d’épidémie. Elles meurent en couches. Dans des accidents. Assassinées. Suicidées. Elles connaissent le deuil, les viols, la torture. Oui, le récit n’est pas tendre pour ces femmes. Mais c’est malheureusement assez logique.
On suit avec une fascination presque morbide le destin des premières femmes de cette famille : celles qui meurent à quatorze ans ou torturées par un contremaître sadique. Celles qui sont esclaves. Cannibales. Éloignées pour toujours des leurs. Puis, c’est une sorte de nostalgie qui s’installe, au fil des générations qui défilent. On se prend à songer aux femmes qui nous ont précédées, nous. On se dit qu’on aurait bien aimé savoir qui elles étaient. Connaître leur nom, tout du moins. Dans la foulée de ma lecture, je me suis ruée sur l’arbre généalogique. Je suis partie de ma fille, dernière femme de la lignée, et je suis remontée. Mais contrairement à Amanda, dernière femme du roman, je ne peux remonter que jusqu’au XVIIIe siècle, à une certaine Françoise. Quelle était sa vie ? Ses bonheurs, ses envies, ses petites tragédies ? Je ne saurais jamais. C’est vertigineux, et c’est la sensation que De mères en filles éveille en nous.
Derrière l’histoire de ces femmes se dessine le destin d’un pays tout entier. Tout d’abord, nous le découvrons vierge et sauvage, peuplé d’Indiens : c’est un territoire mystérieux et sensuel, que convoitent les Européens, assoiffés de domination et de richesses. On le voit être peu à peu colonisé, nous assistons à l’émergence des grandes métropoles, Salvador, Rio, Brasilia. Les régimes politiques défilent. Il n’est pas donné à toute le monde de parvenir à ancrer une fiction dans l’Histoire avec autant d’aisance, mais Maria José Silveira y arrive très bien, faisant de son roman une fresque familiale et historique de haute volée, aux accents résolument féministes. On se régale de bout en bout, car chaque destin éveille en nous tout un éventail d’émotions. On le referme le coeur serré, en se demandant ce qui attend les prochaines générations de ces femmes, dans les décennies et les siècles à venir. Comme pour le destin de nos propres ancêtres, malheureusement, cette question restera sans réponse, sauf si Maria José Silveira décide de reprendre la plume pour nous conter l’histoire de ces femmes du XXI, XXIIe et XVIIIe siècle !
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