PRIMOROMANCIER — Premier roman prometteur, L’Art du jeu a connu un grand succès dès sa publication aux Etats-Unis en 2011. Encensé par le New York Times, John Irving ou encore Jonathan Franzen, L’Art du jeu met en scène l’univers du baseball universitaire dans un roman lumineux, où l’amitié, l’esprit d’équipe et le dépassement de soi sont au centre de l’intrigue.
Dans un pays où le baseball est le sport national, avec bien-sûr le football américain, la scène d’ouverture du roman est des plus banales, tout du moins en apparence. Cette innocente partie de baseball va changer la vie d’Henry, le personnage principal. Petit et maigre, il n’a rien d’un athlète. Pourtant, quand on lui laisse sa chance sur le terrain, il s’avère être un joueur d’exception. En quelques années, sous l’égide de Mike Schwartz, un joueur plus âgé qui le prend sous son aile, Henry va devenir une véritable star du baseball, courtisé par les plus grandes équipes. Jusqu’au jour où il rate un lancer facile. Sa vie va alors basculer, entraînant dans l’abîme la vie des autres personnages.
L’ascension, brutale et fulgurante, d’Henry n’a d’égale que sa déchéance soudaine. Pendant les trois années passées à l’université avant « l’accident », Henry ne se définit que par sa fonction sur le terrain. Il se force à des entraînements et à des régimes drastiques pour être le meilleur, grâce au soutien de Mike, coach amateur devenu ami, entièrement dévoué aux performances d’Henry. Mike ne vit que pour l’équipe de baseball de l’université de Westish, où les deux jeunes hommes sont étudiants. Leur relation, en miroir, où l’un se nourrit de l’assurance de l’autre, et où l’autre vit du succès de l’un semble une ode à l’amitié virile et au dépassement de soi. Pourtant, cette belle amitié ne sortira pas indemne de ce match terrible où Henry, pour la première fois de sa carrière universitaire, a raté une balle.
Autour d’Henry s’articulent la vie d’autres personnages : le tendre et brillant Owen, qui partage sa chambre nouera une relation intense et charnelle avec Guert Affenlight, le président de l’université, alors que Pella, la fille de Guert, revient à Westish pour fuir un mariage malheureux. Les relations amoureuses se lient et se délient. Le couple formé par Owen et Guert, qui défie l’administration et rejette les notions d’âge ou de sexe, permet à l’auteur une réflexion sur l’âge et le temps qui passe : « Que croyaient-ils que les jeunes pousses allaient produire, sinon des vieux eux-aussi ? ». L’université de Westish reste immuable, et pourtant, même si rien ne semble changer, on y sent cruellement le passage du temps. Le regard de Guert, ancien élève et maintenant directeur, montre le statisme du monde universitaire, en même temps que l’évolution des mœurs. Henry, Pella, Owen, Mike font eux l’apprentissage de l’âge adulte (« Devenir adulte, disait-on, c’était savoir que tout acte avait ses conséquences. En réalité, c’était exactement l’inverse »). Pella, qui a brusquement quitté l’adolescence en fuyant avec celui qui devint son mari, se trouve déphasée, perdue entre l’enfance et l’âge adulte, une fois revenue dans le giron paternel : elle observe le monde universitaire, qu’elle n’a pas connu, et qui lui semble à la fois puéril et fascinant. Mike et Henry, dans le cocon de l’université, n’ont finalement pas envie de la quitter pour s’élancer vers l’âge des responsabilités et des devoirs.
Chacun des personnages de ce roman est avide de quelque chose (« Peu importe ce qu’ils avalaient, pourvu qu’ils aient l’ivresse ») : Guert et Owen ne souhaitent qu’une bulle où vivre leur amour, Pella est à la recherche de la reconstruction de son être, Henry a soif de reconnaissance, et rêve d’un rôle bien défini au sein d’une équipe. Quant à Mike, il vit par procuration. Le baseball devient alors une métaphore de la vie, où l’on peut gagner, ou perdre : le principal, c’est de pouvoir compter sur l’équipe.
L’Art du jeu est un roman additif et complexe, dans lequel on se plonge avec délice, et que l’on quitte à regret.
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