C’est quoi, être adulte ?

âge adulte

C’est quoi, être adulte ? Je vous le dis tout net : ce ne sont certainement pas vos goûts qui vous définissent en tant que tel (ou non).

Le concept même d’être adulte, c’est probablement la plus grande fraude de tous les temps. À quel moment le devient-on ? En devenant majeur ? En décrochant son premier boulot, en partant de chez nos parents ? En devenant parent nous même ? En payant des impôts ? Franchement, je ne sais pas vous, mais moi, je serai bien en peine de répondre. Je sais que je suis adulte. Mais je ne sais pas depuis quand.

Quand j’étais gamine, et que je regardais les « grandes personnes », je me disais qu’elles savaient ce qu’elles faisaient. D’ailleurs, elles savaient tout, en fait. Elles possédaient le savoir, elles savaient naviguer dans les eaux parfois troubles de la vie. Mes parents ? Ils savaient aussi bien remplir leur déclaration de revenus que couvrir mes livres pour l’école, conduire ou faire à manger : tous les gestes du quotidien qui semblent bien techniques à un enfant. Ils savaient quoi répondre la plupart du temps à mes « c’est quoi ça ? ». Un peu moins quand il était question de théologie, mais bon, nul n’est parfait. Quand on est enfant, on a beaucoup de « pourquoi ? » et de « c’est quoi ça ? » à la bouche. Ils répondaient toujours. Ils savaient, ils étaient adultes.

Maintenant, j’ai grandi et j’ai mon propre mini-humain qui me demande « c’est quoi ça ? ». Et c’est là, le truc. Je ne suis pas passée du jour au lendemain du statut d’enfant qui demande à celui d’adulte qui sait. Il n’y a pas de seuil au-delà duquel vous êtes adulte. Ça se fait progressivement, j’imagine. Aujourd’hui, je suis la mère de deux enfants, elles sont ma responsabilité, et c’est à moi, avec leur père, de répondre à leurs interrogations sur le monde. Et c’est moi qui me rend compte des limites de ma connaissance de l’univers. Mais être adulte, c’est aussi savoir reconnaître quand on ne sait pas, et écouter celui qui sait mieux.

C’est quelque chose qu’on voit peu sur Twitter, et sur les réseaux sociaux en général, cette capacité à écouter l’autre et à reconnaître qu’on sait moins que lui. Maintenant qu’on est devenu adulte aux yeux de la société, on a du mal, symboliquement, à revenir dans les bottes de l’enfant, de celui qui apprend. Revenons à la question des goûts, voulez-vous bien ? J’ai trente ans, et deux enfants, je suis contribuable, propriétaire et je travaille, objectivement, on dirait que je coche plusieurs des cases de l’âge adulte. Mais voilà : je lis toujours de la littérature de jeunesse, je me penche parfois sur des mangas, je regarde des dessins animés, je mate Netflix, et de plus en plus, je me retrouve assise en tailleur à jouer aux Duplo. En plus, je chante des comptines.

Aujourd’hui, on m’a dit que, pour toutes ces raisons, j’étais une adolescente attardée qui refusait de grandir, une fausse adulte. Un enfant qui se pare des attributs de l’âge adulte pour mieux se complaire dans son immaturité. Et là, je me demande : à quel moment l’ouverture d’esprit (soit le fait de s’intéresser à des choses diverses et variées, sans à priori) est devenue une preuve d’immaturité ? À quel moment c’est refuser de grandir ? Si devenir adulte, c’est rejeter tout ce qui m’intéressait jusque là, c’est porter un jugement sur ceux qui continuent à s’y intéresser, alors non, merci, je rends ma carte du club des grandes personnes.

Je n’ai jamais refusé de grandir. J’ai toujours été une personne plutôt raisonnable (d’aucuns diraient une jeune plutôt chiante, autre type de jugement dont on se passerait bien) et pour moi, la définition même de l’immaturité, c’est plutôt de refuser de s’intéresser à certains domaines parce qu’on croit savoir des choses à ce sujet.  C’est refuser de se renseigner, juger sans connaître. L’immaturité, c’est de se dire « je n’y connais rien, parce que j’ai passé l’âge, mais je sais que… », de persister et de signer quand bien même des gens patients et plus versés que vous en la matière s’évertuent à vous expliquer en quoi vous vous trompez. Être adulte, c’est être capable de reconnaître qu’on ne sait pas, mais dire qu’on veut bien apprendre. Être adulte, c’est accepter le dialogue et accepter que d’autres s’intéressent à des choses différentes que vous. Tout simplement.

La littérature jeunesse, l’imaginaire, les mangas, les séries Netflix : tout cela est d’une richesse et d’une puissance incroyable, il y a bien sûr à boire et à manger, comme partout. Mais rejeter tout cela en bloc sous prétexte qu’on a passé l’âge ? Mais quelle tristesse, mes amis ! Et quelle incompréhension du monde actuel. C’est une posture. Pire : c’est une imposture. Ça me rappelle ce moment quand on a douze ou treize ans, qu’on rentre dans l’adolescence et qu’on se dit « non, je ne jouerai plus avec ma petite soeur, ce n’est plus de mon âge, je suis grande maintenant ». C’était s’illusionner alors, et c’est s’illusionner toujours quand on arrive à l’âge adulte et qu’on dit la même chose de la littérature jeunesse, de Netflix ou des mangas. Parce qu’on n’a plus l’excuse de l’adolescence, justement. Si vous êtes vraiment adulte, vous n’avez pas besoin de débiner tout ça. Parce qu’en le faisant, vous prouvez tout le contraire. Vous n’êtes pas mature. Vous n’êtes pas tolérant. Et je vous plains sincèrement.

A propos Emily Costecalde 1154 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

2 Commentaires

  1. Les gens sont tellement prompts à juger les autres que je trouve ça dingue ! Chaque enfant est un adulte en devenir et chaque adulte en apprend un peu tous les jours. Même à la fin de sa vie on ne sait clairement pas tout, du coup est ce qu’on reste finalement des enfants en apprentissage toute notre vie ? Bref, bonne journée

  2. Très sympa et pertinent ce petit texte. J’adhère totalement au point de vue. Moi qui, à 48 ans, écoute Stromaé (pas que) sous le regard réprobateur de mes ados : « papa, c’est pas de ton âge ! »

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