DOSSIER — Ah, New York, New York ! N’est-ce-pas la plus romanesque des villes (après Paris, n’en doutons pas !) ? New York est une ville qui m’a toujours fascinée. Après une première visite en 2010, puis une seconde en 2016, j’ai dû me rendre à l’évidence : je suis tombée amoureuse. Aussi, je m’efforce de retrouver la grosse Pomme en fiction très régulièrement. De grandes plumes se sont attachées à l’exercice de rendre compte de l’évolution de la ville. J’ai décidé d’allier deux de mes grandes passions (New York et le roman historique) pour vous faire une série d’articles pour vous faire découvrir l’évolution de New York au fil du XXe siècle.
Vous êtes prêts ? C’est parti pour le deuxième article, qui vous entraînera des années 40 aux seventies clinquantes !
New York dans les 40 : et une guerre passa par là !
Pour aborder cette période si particulière, j’ai choisi deux romans qui se passent chacun à une extrémité de la décennie ! Au bonheur des filles, par exemple, s’ouvre en 1940, alors que la trilogie Broadway Limited se passe en 1948/1949. Autant vous dire que l’ambiance n’est pas du tout la même dans ces deux romans. Eh oui, entre les deux, juste une petite guerre mondiale…
Au bonheur des filles et Broadway Limited ont pourtant plusieurs points communs : ils plongent tous deux le lecteur dans le milieu du spectacle, dans une ambiance de fête permanente. On y trouve dans les deux des jeunes gens avides de liberté, à qui New York fait tourner la tête. Vivian débarque chez sa tante Peg, qui tient un théâtre. Elle découvre un New York festif, où on boit, on fume, on couche à tout va… Elizabeth Gilbert donne un côté frénétique à la description endiablée d’un New York fait de restaurants, de théâtres, de cabarets. Broadway en fête ! Puis arrive la guerre, et le lecteur découvre le travail à l’usine pour soutenir l’effort de guerre, la fin d’une certaine insouciance…
Dans Broadway Limited, la guerre est venue et repartie. Jocelyn, jeune Français, s’installe dans une pension de filles où ses colocataires rêvent, pour la plupart, de devenir danseuses, chanteuses ou actrices : difficile, alors, de ne pas penser aux aspirations des amies de Vivian dans Au bonheur des filles ! On retrouve la même atmosphère survoltée, même si c’est plus bon enfant et moins sombre dans le roman de Malika Ferdjoukh. Tous deux font le portrait d’un Manhattan disparu, flamboyant et passionnant. On aurait bien voulu aller y faire la fête ! Mais le New York d’Elisabeth Gilbert recèle bien des pièges…
Dans les années 50, l’ambiance est plus studieuse !
L’atmosphère est tout à fait différente dans L’Homme au complet gris, qui nous propulse en 1953 dans la vie de Tom Rath, ancien soldat devenu cadre à New York. Tom Rath est un navetteur : tous les jours, il fait le trajet depuis sa banlieue pour rejoindre Manhattan. Il rêve d’un poste mieux payé, d’avoir une meilleure maison, de pouvoir payer plus de choses à son épouse et à ses trois enfants. Il aurait inspiré le personnage de Don Drapper dans Mad Men. Tom Rath incarne ce cadre typique des années 50. À travers son quotidien et ses hésitations, l’auteur recrée une époque disparue : les bureaux enfumés qui donnent sur les grandes artères de New York, avec le bruit des dactylos qui tapotent sur leur machine à écrire et l’écho des glaçons dans le verre de whisky qu’on se sert après avoir signé un gros contrat… New York, c’est ici le lieu frénétique de l’ambition et du travail, par opposition au pavillon de banlieue plus calme, plus ennuyeux, où l’on est confronté à ses rêves déçus… Un récit doux-amer, à l’ambiance joliment désuète, mais aux thématiques pourtant très actuelles (vaut-il mieux avoir une meilleure situation, au détriment de sa vie de famille, ou avoir plus de temps libre, et gagner moins ?).
Penchant plus féminin de cette époque au travail, Rien n’est trop beau nous plonge dans le milieu de l’édition new-yorkais en 1952 : Caroline, vingt ans, débarque à New York pour oublier un chagrin d’amour, et commence à travailler dans une maison d’édition. Le roman montre le quotidien de cette génération de femmes, la première, qui envisage de mener de front vie familiale et vie professionnelle, qui essaie de s’amuser tout en préservant sa réputation, qui rêve de gravir les échelons mais se heurte au sexisme ambiant. New York, c’est à la fois un lieu de perdition qui effraie les parents et le lieu de tous les possibles, de toutes les rencontres. C’est un endroit vivant, où on travaille dur avant d’aller s’enfiler des cocktails avec les collègues. C’est la ville où, des décennies avant Sex and the City, on rêve de trouver un beau parti, voire même l’amour.
Années 60 : vers une lente modification des moeurs !
En 1965, travailler est plus facile pour les jeunes new-yorkaises, mais c’est parfois difficile de s’imposer. C’est ce qu’expérimente Helen Gurley Brown en reprenant la direction du célèbre magasine Cosmopolitan. Alice, l’héroïne de ce roman franchement bien ficelé, devient sa secrétaire et assiste aux luttes perpétuelles de cette femme qui essaie d’imposer sa vision de la jeune Américaine moderne, libérée et prête à croquer la vie à pleines dents. Mais imaginer que la femme puisse être sexuellement libérée, en 1965 ? Shocking ! Park Avenue Summer vous propose une plongée vraiment passionnante dans le milieu de la presse dite féminine.
Comme dans les deux romans précédents, voilà un récit ponctué par le bruit des machines à écrire et dont l’odeur de cigarette semble sourdre des pages… New York, c’est encore ce carrefour des possibles, où des opportunités de malade semblent vous tendre les bras à chaque coin de rue. C’est l’endroit où on peut se rêver une carrière, boire des Martinis entre copines, faire ses premières expériences amoureuses. On sent l’ambiance frémir, être sur le point de changer : le Summer of Love lorgne à l’horizon, et le festival Woodstock n’est qu’à quelques années de là…
Années 70 : et là, tout pète !
Les années 70 à New York n’ont plus rien à voir avec les années 50 et 60. Le monumental roman de Garth Risk Hallberg, qui place son action à la fin des seventies, le montre avec exubérance. Le roman commence fin 76 et trouve son apogée avec le célébrissime black out de juillet 1977 : près de 900 pages ! L’ambiance est différente, plus morose : on est après le choc pétrolier, le Watergate, la guerre du Vietnam, et quelque chose a changé dans l’identité américaine, moins insouciante, moins juvénile. New York y est la « ville en feu » du titre du roman (City on Fire), une ville qui conjugue les quartiers huppés aux coins plus glauques, où on se drogue, où on risque l’agression, où l’on squatte à tout va… Un livre un poil indigeste, qu’il faut lire petite session par petite session pour éviter l’overdose.
À noter : si vous voulez lire un autre roman sur le black out de 1977, le livre Darkness on the Edge of Town d’Adam Christopher vous embarque dans une enquête menée par le shérif Hopper de Stranger Things !
À bientôt pour la suite ?
Livres conseillés dans cet article
- Au bonheur des filles, Elizabeth Gilbert. Calmann-Lévy, 2020.
- Broadway Limited (3 tomes), Malika Ferdjoukh. L’école des loisirs, 2015-2021.
- L’Homme au complet gris, Sloan Wilson. 10/18, 2017
- Rien n’est trop beau, Rona Jaffe. Le livre de poche, 2012.
- Park Avenue Summer, Renée Rosen. Pocket, 2021.
- City on Fire, Garth Risk Hallberg. Le livre de poche, 2017.
- Darkness on the Edge of Town, Adam Christopher. Lumen, 2019.
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