HORREUR — La parution d’un nouveau roman d’Estelle Faye est toujours un bonheur, aussi nous étions très curieux de nous plonger dans son nouveau projet adulte, Widjigo, paru dans la collection imaginaire d’Albin Michel. Un récit horrifique, qui se murmure dans une tour isolée par les flots, et qui nous transporte dans la nature hostile de Terre-Neuve…
À la manière de Louis et du journaliste d’Entretien avec un vampire, le roman d’Estelle Faye est une longue conversation entre un homme qui se confie, et celui qui l’écoute. Jean Verdier est un lieutenant de la jeune République française, en 1793. Sa mission ? Capturer un noble, Justinien de Salers, qui vit reclus dans une tour en ruine au bord de la mer, un de ces lieux esseulés difficiles à atteindre. Le vieil homme passe un marché avec l’homme qui vient l’interpeller : oui, il acceptera de le suite sans esclandre, à la condition qu’il écoute son histoire. L’histoire durera toute la nuit… et fera vaciller les certitudes de Verdier.
Car c’est le récit terrible d’un naufrage plusieurs décennies auparavant : les quelques survivants s’échouent sur une plage hostile et glacée. Pour espérer rejoindre la civilisation, il faut traverser une forêt dangereuse. Mais, très rapidement, des membres de l’équipe sont assassinés de manière horrible, avec une mise en scène soignée et atroce. Par qui, par quoi ?
Sorte de Ils étaient dix horrifique, Widjigo plonge le lecteur dans une ambiance glacée, mais les frissons qui parcourent l’échine du lecteur ne sont pas dûs qu’au froid qui semble sourdre des pages : Estelle Faye installe une atmosphère de peur et de folie progressive, grâce à des personnages qui semblent tous avoir quelque chose à cacher et qui semblent tous peu à peu atteint par les miasmes de cette forêt, qui se révélera pour certains un piège mortel. Tous coupables, et un meurtrier parmi eux : oui, l’esprit d’Agatha Christie semble veiller sur cette intrigue qui puise à la fois dans le folklore breton et dans les légendes du Nouveau-Monde. Le mélange est astucieux et audacieux, et la mayonnaise prend très vite. Hanté par le sevrage forcé du narrateur, puis par ses cauchemars, le récit monte peu à peu en pression, jusqu’à un dénouement final surprenant.
Estelle Faye nous présente une galerie de personnages intéressants : confrontés à une nature peu clémente et à la perspective d’un assassinat odieux, loin de la civilisation, dans un huis-clos terrifiant, les protagonistes se révèlent dans toute leur humanité sordide, avec leurs défauts, leurs préjugés, leur attrait presque maniaque pour la religion, les armes ou l’alcool. On citera par exemple le pasteur et sa fille, Pénitence, qui semblent tout droit sortis d’un roman de Nathaniel Hawthorne : le basculement du pasteur dans une sorte de transe obsessionnelle pour la religion et les châtiments est très bien décrit, de même que l’affranchissement progressif de sa fille.
Voilà un roman dont la lecture se prête particulièrement au moins qui arrive, celui de l’année où on aime tout particulièrement se faire peur. Les talents de conteuse d’Estelle Faye ne sont plus à prouver, mais si jamais vous aviez encore un doute, Widjigo se chargera de les dissiper.
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