SÉRIE TV — Attention, cet article contiendra des spoilers sur les trois premières saisons de la série You.
La deuxième saison de You, elle commençait à être franchement lointaine dans mon esprit. Je l’ai visionnée enceinte de cinq mois : ma fille a aujourd’hui presque un an et demi. Mais je me souvenais très bien du moment où Joe, le serial lover/serial killer, s’apprêtait à occire sa dulcinée, son geste arrêté de justesse par l’aveu de celle-ci : elle attendait un enfant.
Comme un mariage peut-il tenir alors, qu’à un moment, l’un des époux a failli tuer l’autre ? Je me le demandais avant de voir cette saison 3, qui apporte une réponse sans appel : ça ne tient pas, tout simplement.
La saison 1 de You nous présentait Joe Goldberg, libraire new-yorkais séduisant de prime abord, dangereux au deuxième coup d’oeil. Joe est un homme obsessionnel, véritable control freak prêt à aller jusqu’au meurtre pour isoler sa proie et la séduire. Naïfs, nous le pensions alors l’homme d’une seule femme mais quand la première saison s’est terminée par le meurtre de celle qu’il appelait encore peu de temps avant la femme de sa vie, le spectateur a fini par se rendre à l’évidence : Joe est encore plus instable que le début de la saison ne le laissait deviner. Oui, c’était déjà pas mal d’espionner une parfaite inconnue, de se branler en bas de son immeuble, d’épier ses réseaux sociaux : il fallait en plus qu’il séquestre son ex, avant de le tuer. Enfin, il finissait par tuer également sa petite amie, avant de débuter une nouvelle vie à l’autre bout du pays. Charmant.
La saison 2 décevait. On voyait Joe répéter les mêmes schémas : tomber amoureux d’une nouvelle femme (ici génialement appelée Love), recommencer à tuer, perdre peu à peu les pédales. Mais là, retournement de situation : Love est finalement aussi tarée que lui. Dans un season finale haletant, elle commettait deux meurtres coup sur coup sous les yeux effarés de Joe et du spectateur, avant de lâcher sa bombe : je suis enceinte. Les dernières secondes de cette saison laissait présager de nouveaux épisodes plus domestiques, plus tranquilles : Joe, son épouse, leur bébé, une maison de banlieue. Qu’est-ce qui pouvait mal tourner ? Eh bien, à peu près tout. Ce preview n’en faisait pas mystère : Joe allait rapidement s’ennuyer dans son rôle de père de famille, et il allait craquer pour la nouvelle voisine. C’est là que les ennuis commencent.
Joe s’amourache, devient obsessionnel, mais oublie sa proie aussi rapidement qu’il en était tombé amoureux : Natalie, la voisine, ne fera ainsi l’objet que d’un épisode d’espionnage et de fantasme avant de céder le pas à une autre. Le schéma est récurrent, bien huilé, peut-être trop : Joe s’enferre dans le déni, absolument aveugle à ses propres vices. Il manifeste une expérience troublante et un détachement effrayant en ce qui concerne le meurtre et la disparition du corps (cet instant charmant où il explique très calmement qu’il a dû ôter les dents à leur victime pour empêcher l’identification du corps, pour lui c’est normal de penser à ça), tout en ayant conscience que c’est mal. Mais ce n’est jamais sa faute, non, non, non : des facteurs extérieurs (souvent sa femme) le forcent à agir.
Aux côtés de Joe, le spectateur assiste à la transformation de Love : de la gentille fille privilégiée de la saison 2, elle se mue en femme jalouse et impulsive, qui tue d’abord et pose les questions après. Si Joe est monolithique, toujours englué dans ses schémas récurrents, Love surprend par son évolution, par sa perspicacité, par sa capacité étonnante à aller d’un bout à l’autre du faisceau de ses émotions en l’espace de quelques secondes. C’est elle qui tue le plus dans cette saison, mais il serait injuste de dire qu’elle est pire que Joe. Il serait injuste de conclure qu’elle est l’hystérique, la plus dangereuse du couple : ils le sont l’un et l’autre, c’est certain. L’un et l’autre sont charmants : leurs accès de violence n’en sont que plus surprenants.
Le spectateur assiste, mal à l’aise, à cette parodie de vie de couple alors que le mariage de nos deux anti-héros est moribond : comment voulez-vous être heureux en ménage quand vous soupçonnez toujours l’autre de vouloir vous tromper et pire, de comploter pour vous tuer ? C’est même étonnant qu’ils arrivent à dormir l’un à côté de l’autre. La série explore les fissures de leur mariage : problèmes sexuels, projets de vie incompatibles, ennui… Au-delà du sang qui suinte littéralement de l’écran, Love pose assez justement la question de la transformation du couple après un enfant, ainsi que de sa propre mue à elle : de jeune femme insouciante et séduisante, elle est devenue une épouse et mère, et le changement la perturbe profondément. Elle cherche comment s’épanouir : est-ce en ouvrant son commerce, en ayant un autre enfant ? Cette quête identitaire donne de la profondeur au personnage, un relief que peine à gagner celui de Joe. Si Joe entretient quelques interrogations sur sa paternité toute neuve, celles-ci restent superficielles : l’enfant m’aime-t-il ? Joe est au début authentiquement persuadé que non. L’enfant n’est pas du genre escompté, cela remet en question toute la vie familiale que Joe s’était imaginé. Ouf, cependant, on évite l’écueil de la jalousie : Joe aime sincèrement son enfant, il ne voit pas en lui un rival pour l’affection d’une mère qu’il n’aime, de toute manière, plus vraiment. Joe se sent enfermé, il rêve de s’enfuir, mais cet enfant le condamne à rester avec Love. Triste conception du mariage.
Une saison 4 est prévue, au sujet de laquelle nous sommes mitigés. Est-ce vraiment intéressant de repartir sur un éternel arc : Joe tombe amoureux d’une femme, Joe tue l’entourage de cette femme, Joe assassine cette femme ? Nous verrons.
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