YOUNG ADULT — La parution d’un nouveau roman de Neal Shusterman est toujours un événement, depuis notre découverte de son excellente série dystopique Les Fragmentés. À vos agendas : Le Déclencheur paraîtra le 7 avril prochain !
Le héros de ce roman autoconclusif s’appelle Ashley, dit Ash. Il a dix-sept ans et une vie bien de son âge, qu’il partage entre le lycée, ses potes et le football américain. Ash est somme toute plutôt heureux, il ne se pose pas vraiment de questions sur le monde, l’univers, les injustices cosmiques… jusqu’au jour où, à la faveur d’un placage violent lors d’un match, il devient tout bonnement le nouveau centre de l’univers. Oui, carrément !
La conséquence ? À chaque choc, Ash fait un pas de côté, métaphoriquement parlant : il bascule dans une nouvelle réalité alternative. Au début, rien de bien méchant : en rentrant chez lui, il se rend compte que les panneaux Stop sont devenus bleus. En interrogeant son entourage, il découvre qu’il en a toujours été ainsi. Pourtant, lui se souvient très bien du rouge éclatant des panneaux. Bizarre, non ?
Mais ce n’est que le début, et à chaque nouveau match, Ash s’enfonce progressivement dans de nouvelles réalités alternatives toujours plus éloignées de la sienne, jusqu’au moment où il se rend compte qu’il se trouve dans un monde où la célèbre jurisprudence Brown vs. Board of Education de 1954 n’a pas aboli la ségrégation aux États-Unis…
On a donc un roman qui flirte allègrement avec la science-fiction comme mécanisme pour dénoncer le racisme et l’homophobie (et, au-delà, toutes formes de discriminations), et qui s’en tire avec les honneurs. Bien sûr, le suspense est bien ficelé et important, mais au-delà du rythme effréné de l’action, on retiendra surtout de ce roman le cheminement intérieur d’Ash, ado blanc américain lambda, forcé brusquement d’ouvrir les yeux sur les injustices du monde. Plongé dans une Amérique rongée par la ségrégation et le racisme, Ash comprend alors d’autant mieux les propres défauts de son Amérique pourtant déségrégationnée. La prise de conscience du jeune garçon est douloureuse : il voit son meilleur ami s’engager dans une vie sans espoir et sans perspectives, il apprend que la soeur de celui-ci est morte faute de soins appropriés après une méningite…
Ash essaie désespérément de provoquer l’avènement d’un monde meilleur (ou tout du moins, « moins pire », c’est-à-dire le retour du sien, tout simplement) mais rien ne se passe comme prévu. Sous l’égide des « Edward », sorte de maîtres cosmiques montés sur skateboards, Ash se lance dans une course contre la montre désespérée, où la moindre erreur de sa part peut provoquer, ni plus ni moins, l’éradication de la vie sur Terre (un monde indéniablement plus pacifique, puisque débarrassé de l’humanité). Chemin faisant, Ash incarnera différentes versions de lui-même, ce qui le rendra bien plus philosophe et sage qu’au début du récit. Les personnages secondaires changent aussi d’une réalité à une autre, même si des constantes demeurent. La manière dont Neal Shusterman altère le quotidien d’une version à une autre est vraiment bien ficelée, c’est fait très finement.
Le Déclencheur est donc un roman vraiment bien fichu, qui, grâce à un ressort surnaturel, propose un regard sans complaisance sur l’Amérique d’aujourd’hui. Il explore avec justesse le concept de conscience sociale, de racisme ou d’homophobie involontaire. Il nous rappelle une nouvelle fois quel immense auteur Neal Shusterman est !
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