Prince Captif : une intégrale entre fantasy et dark romance

Le Prince Captif

FANTASY — À la manière de Kushiel, c’est à la faveur d’une réédition que je découvre la trilogie fantasy Prince Captif bien des années après sa première parution en France. Exactement de la même manière, j’avais jusque là été freinée par l’aura sulfureuse qui émanait de l’histoire. J’avais, sans vraiment m’être penchée sur la question, le sentiment que c’était avant tout une dark romance avec un emballage fantasy. Ce n’est pas tout à fait exact.

L’aspect dark romance, pour être honnête, est indéniable : rien, autour de ce roman, ne fait mystère de l’étrange histoire d’amour qui se noue entre Damen, prince déchu devenu esclave et Laurent, lui-même futur roi, dont Damen est l’esclave. Ce n’est déjà pas très sain comme départ, mais C. S. Pacat va encore plus loin : Damen est l’assassin du frère de Laurent, et Laurent, bien qu’ignorant tout de la véritable identité de son esclave, va tout d’abord lui faire vivre un enfer de sévices, notamment une flagellation très violente.

C’est là qu’entre en jeu l’univers fantasy qui n’a rien, en réalité, d’un banal arrière-plan. C. S. Pacat nous livre un monde fouillé, avec une dynamique socio-politique très réfléchie. Le roman n’est pas qu’une succession de scènes érotiques, bien loin de là : elles sont même assez limitées dans le tome 2. C’est avant tout un bel exemple de fantasy militaire : comment s’emparer d’un trône, comment consolider ses appuis, comment se construire une légende. Et c’est absolument fascinant.

Dans ce monde guerrier et impitoyable va donc éclore une relation de profonde attirance charnelle entre Damen et Laurent. L’évolution de Damen vis à vis de Laurent, de la haine à ce qu’on peut considérer comme de l’amour, en passant par l’avènement d’un respect mutuel, est bien réussie : la psychologie des deux personnages principaux est traitée très finement. L’autrice choisir de montrer, plutôt que de révéler : au lecteur de décoder les signes physiques, de lire entre les lignes des dialogues. C’est ce que j’aime en fiction.

Le roman n’est pas exempt de thèmes et de scènes dérangeants, loin de là. Le royaume de Laurent, à la manière de Platon, privilégie les relations entre hommes mûrs et jeunes garçons. Parfois, très jeunes, ce qui est totalement admis dans le royaume, mais semble bien sûr odieux aux yeux du lecteur. L’autrice condamne cet état de fait : ce vice ignoble est en particulier celui du grand méchant de l’histoire, ce qui contribue à façonner son image détestable. Damen, qui est le héros, réprouve l’exploitation sexuelle de pré-adolescents comme Nicaise, treize ans, amant du Régent. Le thème du traumatisme est d’ailleurs exploité en sous-main en la personne de Laurent, sans jamais que ce soit dit ouvertement. Le lecteur, là encore, aura dû lire entre les lignes. L’esclavage et le viol sont par ailleurs monnaie courante dans ce roman, soyez prévenus.

Le sexe est dans l’univers imaginé par C. S Pacat un outil de domination puissant, une monnaie d’échange, une manière de manipuler pour arriver à ses fins. Les femmes sont relativement exclues du roman, car le royaume de Vere, réprouvant la bâtardise au plus haut point, ne permet les unions entre hommes et femmes que dans le cadre très contrôlé du mariage. Puisque nous évoluons dans un monde militaire, avec deux personnages principaux masculins, fort peu de femmes ont l’occasion d’entrer dans le récit.

Enfin : la romance entre Damen et Laurent, si elle est traitée avec efficacité selon la technique bien rodée du « slow burn » et du « ennemies to lovers« , reste une sorte de syndrome de Stockholm porté à son paroxysme. Extrêmement dérangeante mais redoutablement efficace : à l’image du récit tout entier, que l’on dévore en quelques heures de lecture avides et passionnées.

Prince captif intégrale tomes 1 et 2, C. S. Pacat. Bragelonne, juillet 2022. Traduit de l’anglais par Louise Malagoli.

A propos Emily Costecalde 1154 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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