Dem : Mitchell face à « eux »

Dem

ROMAN AMÉRICAIN — Si vous avez lu L’homme au complet gris et aimé la série Mad Men, Dem de William Melvin Kelley vous plaira sûrement. L’ambiance y est de prime abord similaire, mais le roman de Kelley nous entraîne sur des sentiers bien tourmentés…

Mitchell est ce qu’on appelle un « mad men » : il travaille dans la publicité à New York dans les années 60, verre de whisky à la main et clope au bout des lèvres. Sa vie, sur le papier, est absolument parfaite : il vit dans un bel appartement avec son épouse et leur fils encore bébé. Mais tout va peu à peu basculer, jusqu’au point d’orgue de la défaite de son couple, lorsque sa femme met au monde des jumeaux, l’un blanc et l’autre noir…

Quel étrange et singulier roman que voilà : le roman s’ouvre sur une première partie magistrale, qui semble être une nouvelle à part entière tant la chute en est choquante. Tout est posé dès ces premiers chapitres : on comprend qui est Mitchell, qui est sa femme, deux purs produits de leur époque. Mitchell est un homme comme le milieu du XXe siècle en a produit à la pelle : vaguement arrogant, complètement misogyne, sanguin, traumatisé par la guerre. Le traumatisme, justement, est ce qui donne à ce chapitre toute sa violence, toute sa puissance. Voilà ce que l’Amérique a fait de ces hommes envoyés au front en Asie…

Mais le roman ne se penche pas que sur l’après guerre de Corée : il dépeint cette atmosphère très particulière qui régnait en Amérique après Kennedy, après la déségrégation, ce racisme quasi institutionnalisé qui se retrouve dans la moindre interaction du héros avec un personnage noir. Le titre en lui-même est parlant et montre d’emblée l’opposition : « Dem », qu’on peut comprendre comme la déformation de « them » (eux), tel qu’un Afro-Américain pourrait le prononcer. Mitchell est horrifié lorsqu’il découvre que sa femme a mis au monde un enfant noir. C’est bien sûr la preuve de son adultère, mais pire que ça : elle a commis cette faute avec un homme noir, le scandale est potentiellement immense dans les années 60. Alors que sa belle-mère appelle le couple à abandonner l’enfant (!), alors que plane même la menace pour Mitchell de perdre son emploi, celui-ci se lance dans une quête désespérée pour retrouver le véritable géniteur de l’enfant. Une odyssée hallucinée et improbable, dans laquelle Mitchell se fait passer pour un noir très clair…

Une douce folie semble s’être emparée du héros dans la foulée du conflit. Obsessionnel, vivant volontiers de ses fantasmes, semblant parfois confondre réalité et fiction, Mitchell a l’air sans cesse au bord du précipice. Les situations sont volontiers absurdes, le ton est cinglant et caustique. C’est un roman vraiment étonnant, un cliché sans concession d’une époque aujourd’hui révolue.

Dem, William Melvin Kelley. 10/18, septembre 2022. Traduit de l’anglais par Michelle Herpe-Voslinsky.

A propos Emily Costecalde 1157 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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