HORREUR — Mark Z. Danielewski, quelques années avant la publication de ce livre, vit de plusieurs petits boulots et consacre ses loisirs à l’écriture de son grand-oeuvre (qui lui prendra dix ans). Alors qu’il a trouvé un éditeur intéressé, il met l’ensemble de l’œuvre sur internet, dans un premier temps à destination de ses amis. Mais voilà que l’œuvre connaît un succès grandissant et commence à se forger sa légende urbaine. Ce qui n’a pas empêché l’éditeur de le publier, et de nombreuses traductions de voir le jour. Après une première VF réalisée par Denoël, M. Toussaint Louverture s’est repenché sur le bébé et vient de proposer la première édition française couleur et remasterisée.
La Maison des feuilles, de quoi ça parle ? Déjà on peut commencer par dire que le roman est difficile à résumer. De façon un peu schématique, on y relève trois histoires.
Tout d’abord, la famille Navidson, fraîchement installée en Virginie, découvre un couloir qui n’existait pas jusque-là dans la maison et qui fait que celle-ci est plus grande à l’intérieur qu’à l’extérieur. Will Navidson, le père, photoreporter, décide de documenter le-dit couloir, l’architecture mouvante de sa demeure (et les grondements terrifiants qui s’en échappent) et en fait un film amateur devenu culte sur internet.
Zampano, un vieil homme dont on apprend qu’il est décédé dès les prémisses du livre, s’est attelé à une thèse colossale sur le-dit film : c’est la matière principale du roman, ce par quoi on va entrer dans cette triple (si ce n’est plus) histoire.
Car la thèse de Zampano ne nous arrive pas seule. Elle nous est donnée par Johnny, un gars un peu paumé qui se retrouve avec le manuscrit, le lit et tâche de le mettre en forme, à grands renforts de notes de bas de page qui philosophent sur ce qu’il lit ou déballent sa vie plongée dans le chaos depuis la découverte de cet écrit.
En effet, Zampano semble avoir été rendu fou par son manuscrit. Ou par le film. A moins que ce ne soit la maison ? Quoi qu’il en soit, Johnny semble suivre le même chemin, et sombre en même temps que la famille de Navidson… et le lecteur.
De fait, La Maison des feuilles est une œuvre à laquelle il faut s’accrocher. D’une part parce que le récit connaît cette triple entrée que l’on vient d’évoquer, qui s’enrichit d’un tsunami de notes de bas de page (allant parfois jusqu’à plusieurs pages) et d’une palanquée d’annexes, comportant forces courriers, rapports, photos, plans et autres poèmes. Il faut persévérer car, point non négligeable, il apparaît rapidement qu’aucun narrateur ne semble fiable, impression renforcée par le montage du récit : les notes comprennent des renvois entre elles et certaines notes invitent à aller picorer dans tel ou tel chapitre que l’on n’a pas encore atteint. Ce qui fait que le roman a également deux portes d’entrée : soit on le lit dans l’ordre numérique des chapitres qui se suivent, soit on prend le parti d’aller baguenauder dans les chapitres, en suivant l’itinéraire bis proposé par les notes. Laquelle des méthodes est la bonne ? Sans doute aucune des deux, ou bien les deux tout à la fois, difficile à dire.
Autre point non négligeable : le roman invite à décoder des phrases codées, à chercher les messages cachés, par une mise en page très particulière ou par des indices savamment disséminés. Ne soyez donc pas surpris de devoir utiliser plusieurs marque-pages, de lire avec un miroir, de chercher les codes, ou de lire du texte cantonné dans un petit carré se répétant au fil des pages et matérialisant littéralement un puits creusé dans la maison. La mise en page fait intégralement partie de l’expérience de lecture !
Malgré tout, la lecture n’aura pas été aussi prenante que l’annonçait ce beau projet. Car le sentiment d’horreur qui monte à la lecture parallèle du Navidson record et de la thèse de Zampano est constamment interrompu par le récit des nuits de beuverie/débauche de Johnny, qui cassent le rythme. Hormis le fameux chapitre où lui-même pense être poursuivi par ce qui se terre dans la maison et qu’on vous déconseille de lire à la bougie par un soir de tempête dans une maison vide, on ne peut pas dire que l’ambiance ait pris à plein. Et c’est bien dommage !
Quoi qu’il en soit, on vous conseille la découverte : déjà parce que le côté “objet littéraire non identifié” vaut clairement le détour, et aussi pour expérimenter une lecture très décalée. Du reste, vu la construction, personne ne vous en voudra de ne lire que l’arc narratif qui vous intéresse, cela fonctionne aussi !
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