ROMAN AMÉRICAIN — L’électricité, Roscoe T Martin l’a dans le sang. Nous sommes au début du XXe siècle, et le jeune homme tombe sous le charme de cette nouvelle énergie pleine de promesses. Lorsqu’il décroche un emploi d’électricien à l’Alabama Power, il est donc dans son élément. Mais quand son beau-père meurt et laisse à la femme de Roscoe la ferme familiale, celui-ci doit quitter son emploi qu’il adore pour devenir fermier, un métier qui ne lui convient pas du tout. Les années passent. Roscoe se morfond, s’éloigne de sa femme, et de leur fils. L’exploitation familiale marche mal, l’argent vient à manquer. Vient alors une idée à Roscoe : détourner une des lignes électriques de son ancien employeur et électrifier la ferme. En modifiant l’équipement qu’ils ont déjà, il pourra moissonner plus vite, et économiser le salaire des saisonniers. De plus, il sera au contact de sa grande passion, la fée électricité. Ils seront gagnants sur tous les plans.
Les premières années, la combine fonctionne à plein régime : la ferme prospère, Roscoe et sa femme Marie se rapprochent, tout le monde est heureux. Jusqu’au jour où le shérif local vient passer les menottes à Roscoe : sa petite installation pirate vient de coûter la vie à un employé de l’Alabama Power… C’est donc à la prison de Kilby que nous retrouvons Roscoe.
« Je viens d’avoir trente-trois ans, et ma vie se divise en deux, les années à Kilby, et celles d’avant Kilby. J’espère qu’il y en aura d’autres après, mais je préfère ne pas trop y croire. » Cette phrase de Roscoe pourrait définir l’intégralité du roman : Virginie Reeves nous dépeint les années avant le drame, la vie à la ferme chargée de rancoeur entre les deux époux, suivie de la période faste après l’électrification des équipements, puis la vie de Roscoe en prison, avant de se pencher sur sa vie après. Le tout s’entremêle à merveille, avec beaucoup de fluidité : passant d’une narration à la troisième personne à un point de vue à la première personne au fil du récit, Virginia Reeves façonne au fil des pages son personnage, que nous avons le sentiment d’étudier sous tous les angles. Dans ses souvenirs, nous le découvrons enfant, rassurant sa soeur lors d’une nuit passée seuls dans une grande, adulte et plein d’optimiste face à l’électricité, désespéré et pragmatique en prison : Roscoe se dévoile sous toutes ses facettes au fur et à mesure que le lecteur avance dans sa lecture.
Mais ce sont probablement les pages contant son incarcération qui sont le plus marquantes : le lecteur découvre la vie carcérale dans les années 20/30 avec son quotidien de violence, de privations et d’humiliations. Roscoe multiplie les emplois au sein de la prison de Kilby : à la laiterie, à la bibliothèque ou encore au chenil. Pour s’occuper pendant de longues années de détention, il accepte tous les postes qu’on lui propose. Au fond, a-t-il seulement le choix ? Peu importe, chacun d’entre eux est au fond un travail comme un autre. Si son compagnon de cellule, ébéniste de métier, se voit confier une charge en rapport avec sa formation (construire un siège qui deviendra la chaise électrique, la terrible Yellow Mama), Roscoe, lui, sait qu’il ne peut pas espérer pouvoir renouer avec sa grande passion en prison. Ce n’est pas à un détenu qu’on demandera d’électrifier Yellow Mama.
C’est un récit somme toute très introspectif, mené avec talent, que nous livre Virginia Reeves : porté par la puissance de ce portrait d’un homme malmené par le destin, le lecteur sait qu’il vient de découvrir une nouvelle voix à suivre de très près. Entre Virginia Reeves et nous, le courant est passé !
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