Hunger Games l’aura prouvé : ce n’est pas d’horreur que les univers post-apocalyptiques font frémir le lecteur et le téléspectateur, mais de passion ! Telle une déferlante, les histoires se tenant dans des univers en décadence, où la misère règne, et les bandits sans foi ni loi sont légion sont à la mode. Et pas seulement chez les adultes, loin de là ! La littérature jeunesse abonde de romans dont le synopsis présente un monde dont personne ne voudrait dans la réalité. Là est l’avantage : la lecture ne nous immergeant pas dans lesdits univers, nous pouvons profiter tranquillement du spectacle.
Avec Starters, Lissa Price se place dans cette lignée et propose un diptyque original.
Los Angeles, dans un futur proche. Un virus mortel, répandu pendant la guerre des Spores, a ravagé la population d’âge moyen. Seuls ont survécu les très jeunes, les Starters, jusqu’à l’adolescence et les très âgés, les Enders, jusqu’à plus soif, vu que l’espérance de vie a considérablement augmenté. Pour ces derniers, la chirurgie esthétique ne remplace pas tout… et surtout pas la glorieuse vitalité d’un jeune corps encore vigoureux. Alors après tout, puisque les Enders sont riches à millions, pourquoi ne pas les satisfaire? Voilà l’idée géniale d’un homme d’affaires peu scrupuleux. Visant les innombrables jeunes orphelins qui squattent des immeubles désaffectés, il les appâte avec une somme mirifique, obtenue après trois locations de leurs précieux corps – que les locataires sont tout de même sommés de respecter un minimum. Réduite à la misère la plus totale, Callie, du haut de ses seize petites années, veille sur Tyler, son petit frère de 7 ans, dont la santé est malheureusement déclinante. Acculée, elle prend la seule décision qui, pense-t-elle, lui permettra de sauver son frère : louer son corps à la Banque des Corps, et faire partie des donneuses dont les Enders utilisent les corps, afin de retrouver jeunesse et vitalité. Alors que Callie pense qu’un petit mois de location suffira à sauver son frère, rien ne se déroule comme prévu : elle réaliste bientôt que son corps a été loué dans un but précis, et servira à exécuter un sinistre plan, dont elle sera à la fois la victime et la coupable! La jeune fille prend brutalement conscience qu’elle est devenue une marchandise banale, négligeable, et dont l’avis et les sentiments ne comptent pas.
Voilà une société effarante mais dont les préoccupations (beauté, apparence, jeunesse, perfection), sont loin de nous être étrangères. A travers cette intrigue, Lissa Price explore différentes thématiques et angoissantes questions. Car au final, celle qui compte est la suivante : jusqu’où peut-on aller pour tâcher de sauver ceux qu’on aime ? Quelle est la (trouble) limite à ne pas franchir ? Les pérégrinations de Callie lui font ouvrir les yeux sur les injustices et inégalités sociales de son pays. Révoltée, elle est surtout pragmatique : loin de se gorger de beaux discours et d’illusions, la jeune fille pare au plus pressé et se défend avec les moyens du bord. On est très loin de l’héroïne qui, investie de sa sainte mission, se retrouve surpuissante. Ce réalisme et cette vision très terre-à-terre des problèmes amènent une touche très rafraîchissante à l’intrigue, qui n’en semble que meilleure.
Le récit est rythmé, plein de suspens et, malgré quelques petites longueurs, on est rapidement embarqué. On s’attache très vite à Callie, et on la suit avec grand intérêt dans ses pérégrinations, son désir d’éclaircir la situation, et celui de sauver son petit frère. Son présent n’est constitué que de faux-semblants, cachotteries, tromperies, et il est difficile de déterminer qui est vraiment de ce côté. Tout cela renforce, évidemment, l’ambiance éminemment malsaine qui se dégage de l’ensemble du roman. Aux manipulations scientifiques et à l’injustice, s’ajoutent le complot et l’insécurité ; Starters, le premier tome, est un très bon roman d’ambiance, glaçant, dont la société fait véritablement frémir.
Dès les premières pages du tome 2, on retrouve Callie aux prises avec une situation peu simple, quoique légèrement moins stressante. Pourtant, sa mission n’est pas terminée. Au roman d’aventures succède un roman d’enquêtes, et d’investigations. Il s’agit désormais de débusquer les vrais responsables. Le ton change du tout au tout, et ce n’est pas désagréable. En deux tomes, Lissa Price a su camper deux ambiances très différentes, même si le rythme du second tome est loin d’avoir l’allant du premier. Plus plat, il est aussi plus lent, et souffre de quelques facilités, bien que le mélange des genres (polar et science-fiction) soit harmonieux. A nouveau, un savant flou artistique est entretenu autour des factions en présence : si le tout manque de rythme, le suspens, lui, est au rendez-vous.
Avec ce diptyque, Lissa Price propose donc un portrait féroce de ce que pourrait être la société de demain : superficielle, vaine, plus attachée aux divertissements qu’à l’éthique. Un constat glaçant, servi dans un environnement futuriste et pessimiste, mâtiné d’enquête policière, avec des personnages très vivants, et auxquels il est facile de s’attacher. Même si le second tome est nettement moins enlevé que le premier et un peu plus prévisible, on passe un bon moment de lecture avec cette série, qui devrait plaire aux jeunes lecteurs. Bon point, donc, pour la collection « R », destinée aux ados, lancée par Robert Laffont en début d’année dernière.
Starters, Lissa Price. Deux tomes, Robert Laffont, 2012-2013.
Par Oihana