SCIENCE-FICTION — De Neal Shusterman, on avait craqué pour la Trilogie des Illumières et pour les quatre tomes qui composaient la série des Fragmentés. Son dernier roman en date, La Faucheuse, publié en France par Robert Laffont, est dans la même veine que ses autres romans : sombre, mais excellent !
Les commandements du Faucheur :
Tu tueras.
Tu tueras sans aucun parti pris, sans sectarisme et sans préméditation.
Tu accorderas une année d’immunité à la famille de ceux qui ont accepté ta venue.
Tu tueras la famille de ceux qui t’ont résisté.
Dans le futur, le monde a fait de grandes avancées scientifiques. En 2042, le Cloud est devenu le Thunderhead, une super intelligence artificielle qui règle aussi bien les problèmes de gouvernement (il n’y en a plus un seul) que l’éducation des orphelins.
Dans un monde où on a vaincu la mort depuis des lustres, seuls les Faucheurs dûment ordonnés par la Communauté sont en droit et en capacité de glaner (le terme politiquement correct pour « tuer ») des gens, selon des quotas et des règles très stricts – tout contrevenant est censé être sévèrement discipliné. En tant que tels, les Faucheurs sont craints, mais aussi vénérés.
Le jour où Maître Faraday se présente à l’appartement de la famille Terranova, simplement pour prendre le dîner, selon ses dires, Citra s’inquiète et s’insurge devant la cruauté du traitement que le Faucheur inflige à sa famille (va-t-il glaner quelqu’un ? Si oui, qui ? Et pourquoi leur infliger sa présence ?). Quelques jours plus tard, le même Maître Faraday vient glaner un élève du lycée de Rowan Damish, un adolescent issu d’une famille tellement nombreuse que personne ne se soucie vraiment de lui. Mais Rowan s’interpose puis accompagne son camarade dans ses derniers instants, ce qui lui vaut de devenir le bouc émissaire du lycée, tout le monde le soupçonnant d’avoir, au mieux, exigé la mort de son camarade, au pire, des accointances avec les Faucheurs.
Aussi, lorsque quelques mois plus tard Maître Faraday vient prendre en apprentissage Citra et Rowan, aucun ne voit son arrivée d’un très bon œil. Aucun des deux ne veut devenir un faucheur et c’est pour cela que Maître Faraday les a choisis pour les former. Pourtant, il reste un peu d’espoir à l’un d’eux. À l’issue de leur apprentissage, seul l’un d’entre eux deviendra faucheur ; le perdant retournera à sa vie d’avant. Mais la Communauté des Faucheurs ne voit pas cette mise en compétition d’un très bon œil…
On entre dans le vif du sujet dès la première page, qui se présente comme un extrait du journal de bord de l’Honorable Dame Curie – chaque Faucheur, en effet, est tenu de tenir scrupuleusement un journal de bord qui est immédiatement versé dans les archives publiques du Thunderhead. Cette entrée en matière nous donne à voir immédiatement le drôle d’univers dans lequel évoluent les Faucheurs. D’ailleurs, entre chaque chapitre, on pourra lire des extraits de journaux de bords : ceux de Dame Curie, donc, mais aussi ceux de Maître Faraday, de Citra, de Rowan ou de Maître Goddard. On remarquera d’ailleurs assez vite que chaque Faucheur ou presque a sa vision du métier, des pratiques et de ce que devrait ou ne devrait pas faire la Communauté.
Ainsi, l’intrigue bascule assez vite sur un plan assez politique, certes cantonné à la Communauté des Faucheurs, mais tout de même aux conséquences portant sur l’univers en général. Et c’est là qu’interviennent les visions diamétralement opposées du métier qu’ont les uns et les autres. Alors que certains ont une vision du glanage très humaniste, d’autres ont plus envie de faire de l’abattage à grande échelle, de préférence de façon créative. Se pourrait-il que la communauté des Faucheurs soit gangrenée de l’intérieur ? C’est ce que se demandent Citra, Rowan… et le lecteur.
L’intrigue pourrait sembler linéaire mais Shusterman est un maître en matière de suspense : il nous surprend sans cesse et égrène les rebondissements échevelés.
Autre point sur lequel il excelle : les personnages. Shusterman dresse des personnages profonds et souvent touchants – bon, pas tous, certes, mais la plupart. Il leur fait se poser de bonnes questions et les entraîne sur des pistes de réflexion profondes, autour de la mort, du deuil, de l’acte de tuer. Ça peut sembler glauque – et parfois ça l’est – mais c’est aussi et surtout passionnant !
Le roman a, d’autre part, le double talent d’être à la fois une excellente porte d’entrée sur l’univers et un très bon singleton : si on a envie d’en savoir plus, l’intrigue apporte une vraie conclusion. On regrettera cependant que la traduction du titre gâche, à elle seule, une grosse partie de l’intrigue. Garder Scythe, comme en VO, eût peut-être été plus judicieux.
Encore une fois, Neal Shusterman propose un roman passionnant, cynique à souhait et particulièrement prenant ! Il nous fait découvrir, encore une fois, un futur peu enviable, mais qu’il questionne avec talent. Affaire à suivre, donc !
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