Un roman sombre sur deux écorchés vifs : Nulle part sur la terre

Nulle part sur la terre, Michael Farris Smith. Sonatine, août 2017.

MISSISSIPPI — De Michael Farris Smith, nous avions déjà lu Une pluie sans fin, aussi, curieux, nous ne pouvions pas passer à côté de son deuxième roman, Nulle part sur la terre.

Cette fois-ci pleinement réaliste, ce nouveau roman s’intéresse à deux écorchés vifs qui n’ont pas été épargnés par la vie, et dont la route se croise dans une bourgade perdue à la lisière entre le Mississippi et la Louisiane. Ici, pas de bons sentiments ou d’optimisme : le récit est résolument sombre, la nature est hostile, et les hommes bien plus encore. Ce n’était peut-être pas la meilleure des lectures pour débuter l’année : trop pessimiste, trop déprimante. Et pourtant… il serait dommage de passer à côté du style si particulier, si oral, si brut, de Michael Farris Smith.

Deux personnages, donc, dont la destinée se fait en miroir. D’un côté, Maben. Fille perdue, elle erre sur les routes du vieux sud à la recherche d’un refuge. Tenant la main de son enfant et charriant un sac poubelle plein de vêtements (ses uniques possessions terrestres), elle marche en direction de la petite ville où elle a grandi. Personne ne l’y attend. Elle est seule au monde.

Pour Russell, c’est aussi un retour au foyer. Après onze ans de prison, l’homme revient chez lui, retrouver son père et Consuela, la femme qui partage la vie de celui-ci. Mais il est aussi attendu de pied ferme par deux frères bien résolus à se venger. Qu’ont en commun ces deux personnages, en dehors de leur retour au pays, et de leur grande solitude ? À vous de le découvrir.

Nulle part sur la terre, Michael Farris Smith, Sonatine

Les écrivains du sud sont généralement sans concession leur région natale : au fil des lectures, le lecteur français se construit une image sinistrée de ces états. Racistes, pauvres, incultes, violents, rongés par la drogue, décadents. Y prolifèrent les trafics de drogue et de chair humaine, les lynchages et les drames ordinaires. Le Mississippi tel que le décrit Michael Farris Smith ne redorera pas le blason de cet état : les flics y sont des ordures, le soleil y est sans pitié, et personne ne semble y être heureux. On y survit. On fait comme on peut. On comble les trous. Le seul qui parvient à présenter une façade satisfaite, c’est sans doute le père de Russell, mais ce n’est que superficiel. En réalité, l’homme est triste, seul, il se sent diminuer de jour en jour, et il a peur pour son seul fils. Consuela est plus pour lui une béquille qu’une compagne. Sarah ? L’ex-petite amie de Russell ? Si pour un observateur extérieur, elle incarne la parfaite mère de famille, en réalité, elle n’a jamais pu oublier Russell… Boyd, l’ami d’enfance, heureux avec sa femme et ses deux fils ? Devenu policier, il rentre chaque soir la tête farcie des pires horreurs dont l’humanité est capable.

Fort de ce constat déprimant, Michael Farris Smith n’a aucun mal à dresser le portrait de personnages abîmés par la vie. D’un côté, l’ex-taulard qui a vu dix années de sa vie lui filer entre les doigts, et sa fiancée en épouser un autre. Il sait que tôt ou tard, ses ennemis lui feront la peau. De l’autre, la jeune femme dont on a abusé, qui a connu la drogue, la prostitution, une grossesse non désirée. Le récit est sombre, apparemment sans espoir. Comment l’un et l’autre pourraient s’en sortir ? La vie ne leur fait pas de cadeau.

Pourtant, ils s’accrochent. Ils essaient. Ils veulent y croire. Et ça, c’est la seule lumière du roman, ce qui parle au lecteur et lui évite de partir en courant vers des contrées moins déprimantes. C’est finalement un récit très humain, extrêmement réaliste, que nous livre Michael Farris Smith : c’est la vie sans fard, dans ces petites villes reculées du Mississippi où on a l’impression que jamais rien de bon ne se passera. Et pourtant. On est parfois surpris.

Nulle part sur la terre, Michael Farris Smith. Sonatine, août 2017. Traduit de l’anglais par Pierre Demarty.

A propos Emily Costecalde 1154 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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