Un premier roman puissant : American Girl

American Girl, Jessica Knoll

NEW YORK — Elle est la fille la plus chanceuse du monde. Sur le papier, cette « American Girl » a tout pour être heureuse : à vingt-huit ans, Ani est une des plumes montantes du journalisme new-yorkais. Elle travaille dans une rédaction réputée, a un appartement élégant à Manhattan, et, comble du bonheur, s’apprête à se faire passer la bague au doigt par un homme beau, intelligent, charmant, en somme, bien sous tout rapport et qui, en plus, est issu d’une famille riche et prestigieuse. Oui, Ani a vraiment tout pour être heureuse, malgré les aléas de la préparation d’un mariage, avec sa cohorte de dilemmes, de privations et de compromis.

Mais cette façade de it girl new-yorkaise n’est justement que cela : une façade. Derrière son masque souriant, et sa quête de performance, Ani cache de profondes failles. Et c’est ce qu’American Girl explore avec brio. Oubliez l’aspect chick lit des premières pages, ce n’est qu’un emballage chatoyant destiné à dissimuler un premier roman virtuose sur le traumatisme et la souffrance, doublé d’un portrait de femme brillamment esquissé.

Alternant entre le présent, qui nous montre une Ani qui mène de front la préparation de son mariage et sa participation à une émission de télévision sur un fait divers qui a eu lieu dans son lycée, et le passé, qui nous plonge dans l’adolescente de notre héroïne, American Girl est un roman étonnamment sombre mené crescendo, dans lequel la pression monte peu à peu. L’insouciance laisse peu à peu place à un sentiment plus trouble, plus inquiétant : on sent le drame arriver, poindre, tandis que l’Ani adulte nous apparaît de plus en plus fragile, de plus en plus vulnérable et donc, par ricochet, touchante. Quand Ani avait quatorze ans, rien ne laissait deviner qu’elle deviendrait cette « American Girl » si sophistiquée que tout le monde admire : ce n’était alors qu’une banlieusarde un peu beauf, parachutée dans un lycée huppé où elle peine tout d’abord à s’intégrer. De sa place de petite nouvelle, elle observe avec acuité la dynamique de l’établissement et essaie de se faire remarquer des rock stars du bahut : l’éternel trio de sportifs et les deux reines des abeilles qui, de leur table privilégiée, contemplent la plèbe en faisant la pluie et le bon temps au lycée. Jessica Knoll dresse alors un portrait sans fard, douloureusement réaliste de la vie dans un lycée américain au tournant du siècle jusqu’à ce que, peu à peu, tout bascule et que la chronique lycéenne se mue en drame.

Devenue adulte, Ani a refoulé le profond traumatisme vécu au lycée (et que nous ne vous détaillerons pas, afin de préserver le suspense) : pour se dissocier des événements, elle a tronqué son prénom TifAni, et a hâte de se débarrasser de son nom de famille, FaNelli, pour celui de son fiancé, Harrison. Elle a soigneusement poli chacun des aspects de sa personnalité et de son corps pour devenir autre. Une autre femme. La fille la plus chanceuse du monde, et non celle qui fut au centre d’un terrible fait divers une dizaine d’années auparavant. La manière dont Jessica Knoll décrit cette construction psychologique, cette quête désespérée de performance, ce besoin avide de reconnaissance et d’admiration est brillante : d’une manière à la fois naïve et terrible, Ani est persuadée qu’une fois qu’elle serait devenue Madame Harrison, journaliste au New York Times, plus personne ne pourra lui faire de mal. Son cheminement intime est admirablement rendu.

Happé par le récit dès les premières pages, le lecteur s’agace tout d’abord de cette personnalité de pimbêche privilégiée et ambitieuse que renvoie Ani, mais ressent bien vite le besoin irrépressible de savoir ce que cache son passé. Véritable page-turner, American Girl est un premier roman maîtrisé de bout en bout, qui se dévore de manière pressante et qui nous laisse KO sitôt les dernières pages tournées. Jessica Knoll est donc un auteur à suivre de près : le cinéma ne s’y est d’ailleurs pas trompé car American Girl est en cours d’adaptation à Hollywood. Nous avons hâte de voir le résultat mais, plus encore, de découvrir le nouveau roman de Jessica Knoll !

American Girl, Jessica Knoll. Actes Sud, juin 2016. Traduit de l’anglais par Hubert Malfray.

A propos Emily Costecalde 1154 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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