ROMAN HISTORIQUE — Dans l’imaginaire collectif, Lucrèce Borgia est une femme à la réputation sulfureuse. Inceste, meurtres et autres manipulations : aucune rumeur ne lui est épargnée. La faute, entre autres, aux auteurs comme Victor Hugo ou bien encore aux réalisateurs de séries, qui ont fait de sa vie une légende noire. Mais qu’en est-il vraiment ? La parution de La Princesse du Vatican sera-t-elle l’occasion de réhabiliter cette figure de la Renaissance, bien plus victime que coupable des machinations de sa famille ?
Privilégiée et adorée, Lucrèce aspire à échapper à son enfance et à jouer un rôle dans la fortune de sa famille. Mais Rome est séduisante et dangereuse : les alliances changent à tout moment, tandis que les dynasties dirigeantes d’Italie s’efforcent de garder leurs rivaux à distance. Alors que le père de Lucrèce (le pape Alexandre VI) doit faire face à des défis de toutes parts, la menace d’une invasion française l’oblige à la marier à un puissant adversaire.
Lorsqu’elle découvre la vérité derrière cette alliance, Lucrèce est plongée dans un jeu périlleux qui nécessitera tout son esprit, sa ruse et son astuce. Les accusations scandaleuses de meurtre et d’inceste s’accumulent contre elle, menaçant ceux qu’elle aime, Lucrèce doit tout risquer pour surmonter le destin mortel que lui impose son sang Borgia.
La quatrième de couverture était assez neutre pour ne pas donner d’indice sur le parti pris par l’auteur quant à ses intentions pour le personnage de Lucrèce. Dans le premier tiers du roman, C.W. Gortner dresse le portrait d’une jeune fille complètement victime des complots de sa famille, à une époque où de toutes manières les filles passent d’un père à un mari sur la base de leur dot et donc, de leur valeur marchande et stratégique. C’est d’autant plus vrai quand on est la fille de l’homme le plus puissant d’Europe, à savoir le pape : les perspectives de mariage de Lucrèce deviennent alors, contre son gré évidemment, de la plus haute importance. C’est ainsi qu’elle se retrouve mariée, à 13 ans, à Giovanni Sforza afin de sceller l’alliance avec l’une des familles les plus influentes d’Italie. Naïve, elle s’endurcit malgré tout assez vite pour tenter de maîtriser son destin. Mais la famille passe avant tout !
Le milieu du roman se permet malgré tout une petite incursion dans l’immoralité. Comme on pouvait s’y attendre (ou le redouter, c’est au choix), le thème de l’inceste dans la vie de Lucrèce Borgia est abordé. Car Victor Hugo, et apparemment Chateaubriand avant lui, en ont fait une femme triplement incestueuse (avec son père et ses frères) et impitoyable qui n’hésite pas à faire tuer et empoisonner quinconque se dresse sur son chemin. Les deux séries sorties en 2011 sur le sujet (The Borgias et Borgia) ont également écorné le personnage à des fins purement sulfureuses. Mais on comprend que ces sordides rumeurs apparaissent en fait au moment de l’annulation de son premier mariage (au motif que le mariage n’a pas été consommé car Giovoanni Sforza était impuissant), lancées entre autres par le mari vexé !
Après ces quelques pages, la menace d’une diabolisation de cette figure historique s’éloigne. Les précisions en ce sens dans la postface sont donc les bienvenues, histoire de remettre cette légende noire à plat. L’auteur explique ainsi ses choix narratifs et les faits à partir desquels il a dû composer sa partition. Dans la même veine, vous ne trouverez dans ce roman pas de récits d’empoisonnement, ni de meurtres commandités, tout du moins pas par la jeune femme, qui subit les plans machiavéliques des hommes de son entourage.
L’Histoire et les rumeurs auront donc eu raison de l’image de Lucrèce Borgia dans l’imaginaire collectif. Il semblait donc important, au XXIe de pouvoir réhabiliter le portrait de cette femme, entaché de suspicions de luxures, de meurtres et d’inceste. Et c’est chose faite avec ce livre, où l’auteur s’est attaché à retranscrire le plus factuellement possible la vie de Lucrèce malgré des comptes-rendus d’époque absents ou disparates. Il n’est donc jamais trop tard pour corriger tout cela !
Lucrèce Borgia : la princesse du Vatican, de C.W. Gortner. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Suzy Borello. Hauteville, février 2023.
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