Pour nous autres nés dans les années 80 et 90, se plier aux vérifications de sécurité à l’aéroport n’est qu’une formalité : nous avons l’habitude de passer docilement sous le portillon, de mettre nos clefs dans un des baquets en plastique qu’on nous tend et de voir le contenu de notre sac aux rayon X. L’avion est devenu paraît-il le transport le plus sûr au monde.
Dans Le Ciel nous appartient, Brendan I. Koerner nous fait basculer dans un monde où tout un chacun peut se promener sur le tarmac et où, à l’idée de contrôler les passager sur le point d’embarquer, les autorités comme les compagnies d’aviation se braquent. Il s’intéresse à une décennie où, aux Etats-Unis, le risque de voir son avion détourné par des pirates existait, et était même plutôt élevé : de 1962 à 1972, le pays a dû faire face à une menace à laquelle il ne s’attendait pas. Aux périodes les plus tendues, plusieurs avions pouvaient être détournés la même semaine, parfois la même journée, principalement par des révoltés souhaitant rallier Cuba.
Brendan Koerner s’intéresse tout particulièrement à un couple, qui a réussi l’un des détournements les plus spectaculaires de l’histoire de l’aviation américaine : il s’appelle Roger, est un vétéran Afro-Américain traumatisé par le Vietnam ; elle s’appelle Cathy, est une dealeuse à la petite semaine et n’hésite pas une seule seconde à suivre son petit ami sur la voie du crime. Brendan Koerner analyse aussi bien que le contexte, que le détournement en lui-même, et ses suites. Cathy et Roger s’exileront notamment dans notre beau pays, où ils fréquenteront l’élite intellectuelle parisienne.
C’est un essai qui se dévore comme un roman : tout est vrai, et tout y est pourtant incroyable. Certains des faits divers cités frôlent l’absurde, ce qui les rend paradoxalement plus tangibles. Certains des désespérés évoqués dans les pages du Ciel nous appartient étaient prêts à tout pour crier au monde le manque de considération dont ils souffrent, le racisme au quotidien, la misère ou encore leurs opinions politiques. Par effet d’émulation, l’idée de l’un donne des envies aux suivants. C’est une terrible escalade. Cathy et Roger font figure de paroxysme.
Portrait d’une époque déchirée entre joie de vivre baba-cool, tension entre les communautés et malaise vis à vis du Vietnam, Le Ciel nous appartient offre une analyse plutôt réussie de l’état de l’aviation américaine des années 60, entre le déploiement commercial offrant une grande liberté de mouvement, et les premiers dangers liés à un flou juridique. Grâce à des passages biographiques vraiment intéressants, Brendan Koerner parvient à donner une véritable dimension romanesque à son livre. Attachez vos ceintures, voilà une lecture qui n’est pas de tout repos !
Le Ciel nous appartient, Brendan Koerner. Le livre de poche, mai 2014.
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