Sur Café Powell, nous avons décidé d’inaugurer un nouveau rendez-vous, intitulé « Visages du livre » qui nous permettra de mettre en lumière un métier du monde du livre, et plus tard, espérons-le, de la culture. Cette semaine, c’est Laetitia, correctrice, qui répond à nos questions !
En bref, quel est ton rôle ? Parle-nous un peu de ton métier !
Le correcteur intervient sur les premières épreuves du livre, après la préparation de copie. Son rôle diffère selon la taille de la maison d’édition ; le plus gros travail sur l’orthographe, la grammaire, la typographie ainsi que la vérification des noms propres et des dates relèvent normalement de la préparation de copie, mais reviennent au correcteur dans les petites et moyennes maisons. En effet, plus la maison est grande, plus il y a d’intervenants, plus les tâches sont clairement partagées. Une correctrice d’une prestigieuse maison parisienne m’a récemment raconté que dans son service, après le travail du préparateur de copie, les épreuves du correcteur ne sont pas censées être criblées de rouge, il doit rester majoritairement des coquilles et d’éventuels problèmes de césures, de titres et de mise en page. Ce qui est loin de ressembler à mon expérience passée et à mes tâches avec mes clients actuels ; la « préparation de copie » est généralement effectuée par une assistante d’édition qui travaille sur le texte, sur sa cohérence et sa visée, et le travail d’orthographe, de grammaire et de vérification est laissé à la charge du correcteur. Les premières épreuves étant fort chargées, les secondes épreuves sont alors imprimées dans leur intégralité pour pointer l’intégration des corrections. Personnellement, je préfère avoir à effectuer ces tâches de « préparation de copie » !
Sur les premières épreuves papier, je corrige au stylo rouge toute faute d’orthographe, grammaire, conjugaison, ponctuation, typographie, ainsi que les pléonasmes et les anglicismes, je vérifie la bonne utilisation des lettres capitales et bas de casse, du romain et de l’italique, ainsi que tout nom propre, date, fait historique. Il faut faire aussi attention à la cohérence du texte, par exemple vérifier l’âge, la couleur de cheveux d’un personnage. Le maître mot du correcteur est l’unification. Hors texte, je vérifie la mise en page, les numéros de page, les belles pages, les titres courants, etc. Je fais des suggestions au crayon de papier, notamment quand il est question de réécriture, d’ajout, de suppression ou de toute autre modification non obligatoire.
À quoi ressemble une journée type de travail pour toi ?
Je travaille à mon domicile, je peux donc aménager mes horaires à ma convenance, mais j’évite de travailler lorsqu’il fait nuit, parce que la lumière naturelle est bien meilleure. Je m’installe à mon bureau, entourée de tous mes usuels ! Lors de mon temps libre, j’en profite pour lire à titre personnel et pour me plonger dans le code typo, le Bescherelle ou le Grevisse. Moins on a à vérifier en corrigeant, plus on gagne de temps !
Quels ont été ta formation et ton parcours ?
Après un bac littéraire, je suis allée en fac d’anglais à Strasbourg. Ma licence en poche, j’ai effectué mon master 1 en traduction littéraire en tant qu’étudiante Erasmus à Leicester, en Angleterre. Après une année hors études passée en Espagne où j’ai travaillé comme traductrice, je suis retournée en Angleterre afin de suivre un master 2 en traduction audiovisuelle à Londres. Après avoir travaillé dans une boîte de sous-titrage à Paris, j’ai souhaité faire la formation au métier de correcteur du Centre d’écriture et de communication, qui m’intéressait depuis plusieurs années. Étrange retournement de situation, donc ! Toutes ces années passées à étudier trois langues étrangères m’auraient-elles donné envie de perfectionner ma langue maternelle ? Il est vrai que je commençais à bien mieux connaître certains aspects de l’anglais, tels que la phonétique ! Ensuite, j’ai travaillé pendant six mois dans une maison d’édition afin d’en apprendre le fonctionnement et de mettre en pratique ce que j’avais appris. J’ai également suivi la formation « Correction d’épreuves » à l’Asfored afin de me perfectionner. Je suis à présent correctrice libérale, la situation actuelle faisant que le métier se trouve de plus en plus « externalisé », et les opportunités de travailler en TAD (travailleur à domicile) se font rares.
As-tu des conseils à donner à quelqu’un qui souhaiterait devenir également correcteur ?
Je recommande à toute personne souhaitant devenir correcteur de suivre l’une des deux formations les plus reconnues, au CEC ou à Formacom. Celle de Formacom est la meilleure, mais sa durée (six mois à temps plein) et son tarif sont contraignants. Le CEC a l’avantage de proposer la formation en cours du soir ou par correspondance. On peut également parfaire ses notions en suivant les excellentes formations de deux ou trois jours de Formacom ou de l’Asfored. [J’ai appris il y a quelques jours que Formacom est en liquidation judiciaire et l’école devrait fermer ses portes cet été si des subventions ne sont pas accordées… Un coup dur pour la profession !]
De plus, il faut s’assurer d’avoir un bon œil. On aura beau connaître le dictionnaire et le Bescherelle par cœur, si l’on ne voit pas les coquilles, c’est problématique !
S’estimer bon en orthographe n’est pas suffisant pour être correcteur. Corriger l’orthographe et la grammaire n’est qu’une partie du travail. C’est pourquoi j’insiste sur l’importance de suivre une formation. Il y a de nos jours beaucoup trop de personnes qui s’autoproclament correcteurs, et cela nuit à notre métier, qui n’est déjà que trop peu reconnu.
Quels sont tes livres de chevet ? Ceux que tu conseillerais absolument, comme ceux que tu lis en ce moment ?
Mes goûts changent au fil des ans, et je lis rarement un livre plusieurs fois. Plus jeune, j’étais fan de Bernard Werber, plus particulièrement de L’Empire des anges et de la trilogie des Dieux. Actuellement, je n’ai pas de livre ni d’auteur préféré, même si j’aime beaucoup le style de Paul Auster, notamment ses romans de la dernière décennie (The Brooklyn Follies, Travels in the Scriptorium, Man in the Dark) et ses œuvres autobiographiques (The Red Notebook, Winter Journal).
Je conseille rarement un livre, ou alors à une personne dont je connais bien les goûts et les thèmes préférés. Pour moi, la lecture est quelque chose de très personnel, d’intime, qui ne se raconte pas. Je choisis un livre en fonction de mon besoin du moment. Je préfère les livres dont l’action se passe à notre époque, qui traitent de la vie « ordinaire », de la quête de soi. Il faut que j’arrive à m’identifier aisément à un ou plusieurs traits de caractère d’un personnage. J’aime le thème de « l’anormalité » des personnes peu sociables, qui ont une vision des interactions sociales et un comportement différents, comme dans L’Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage, de Haruki Murakami, ou Le Théorème du homard, de Graeme Simsion (recommandé par Café Powell, bien sûr !), dont le personnage principal est aspie, tout comme le philosophe Josef Schovanec dont j’ai lu deux livres récemment : Je suis à l’est !, Éloge du voyage à l’usage des autistes et de ceux qui ne le sont pas assez. Enfin, je lis en ce moment deux livres ayant pour thème le milieu littéraire, tous deux des satires ; Comment je suis devenu un écrivain célèbre, de Steve Hely (recommandé par le petit frère de Café Powell, The American Break !), satire comique du monde de l’édition, et La Politesse, de François Bégaudeau, satire cette fois très cynique mais franchement hilarante du « champ littéraire » au sens large selon l’expression de l’auteur.
En librairie, qu’est-ce qui fait que tu t’arrêtes (ou non) sur un livre ?
La couverture ou le titre peuvent attirer mon regard, mais la couverture ne fait pas le livre, et le titre, à mon avis, donne peu d’indications. J’accorde donc une grande importance à la quatrième de couverture. J’ai parfois déjà en tête les livres que je souhaite, j’ai fait de très belles découvertes grâce aux critiques du magazine L’Express et aux recommandations de Café Powell !
Quel genre de lectrice es-tu en règle générale ? Arrives-tu à oublier la correctrice en toi ?
Non, quoi que je lise, un roman, un journal, une publicité, mon cerveau cherche automatiquement des fautes ! Néanmoins, les fautes en littérature sont heureusement peu nombreuses, j’arrive donc à être plongée dans ma lecture !
De manière plus générale, quand je décide de lire un livre, c’est pour ne plus le lâcher. Je ne peux pas commencer une lecture simplement pour ne pas m’ennuyer, il faut que ce soit une envie subite !
Quelle est la faute d’orthographe ou de grammaire que tu vois souvent et qui t’exaspère le plus ?
La faute de grammaire qui revient très souvent est « après que » suivi du subjonctif. C’est vrai que l’indicatif sonne mal, et les gens pensent que l’on a fait une faute. Ces fautes qui passent inaperçues sont fort problématiques, car dans la vie de tous les jours j’ai peur qu’on se dise que je fais des erreurs et que c’est honteux pour une correctrice ! Par exemple, en typographie, « espace » est féminin. Peu de gens le savent, j’évite donc par exemple la tournure « espaces comprises » ! Les fautes de passé composé sont légion, je ne m’attarderai donc pas là-dessus ! Une autre faute récurrente : « C’est toi qui l’a fait. » L’accord est souvent mauvais dans cette tournure d’emphase. Une faute revient très régulièrement : « l’un deux », « l’une d’elle ». J’avoue ne pas comprendre pourquoi elle apparaît si fréquemment.
Côté ponctuation, les romans regorgent d’incises mal ponctuées. Il faut se rappeler qu’en cas d’incise les virgules fonctionnent par deux. Soit on en met deux, soit aucune. Si je reprends la phrase précédente, la voici mal ponctuée : « Il faut se rappeler qu’en cas d’incise, les virgules fonctionnent par deux. » Cela est dû au fait que l’on voudrait écrire comme l’on parle. Or, c’est grammaticalement incorrect de séparer d’une virgule une conjonction de subordination du sujet. Je remarque malheureusement que cette faute devient « acceptable » en littérature, vu les nombreuses occurrences que je rencontre.
Quel avenir pour le métier de correcteur ?
L’attitude des Français vis-à-vis de l’orthographe est très paradoxale. Selon le baromètre Voltaire, les Français maîtrisent respectivement 45 % et 46 % des règles d’orthographe et de grammaire (contre 51 % et 52 % en 2010). Le niveau est donc en baisse. Lire des posts sur Facebook et Twitter devient effrayant. On accepte de voir des erreurs dans les articles de presse, même de quotidiens nationaux. Pourtant, ce n’est pas devenu communément admissible de faire des fautes, les gens restent très susceptibles quand on leur fait une remarque. Le Figaro a publié un article ce mois-ci sur le fait que l’orthographe est un enjeu économique pour les entreprises. Elles sont d’ailleurs nombreuses à faire appel au Projet Voltaire (programme de remise à niveau en ligne) pour leurs employés. Enfin, la page Facebook de Bescherelle ta mère atteint plus de 350 000 « J’aime » ! Ce sont quelques signes qui prouvent l’importance pour les Français que leur langue maintienne un certain niveau… mais tous ne sont pas prêts à payer (une somme pourtant fort modeste…) pour lire ou rédiger des textes impeccables.
À l’heure où Formacom ferme ses portes, il est difficile de rester positif, mais j’ose espérer que le métier de correcteur a encore de beaux jours devant lui.
Je ne sais pas si j’aurais la patience pour un tel métier. Surtout, comment réussir à suivre l’histoire et à trouver les incohérences si la lecture est stoppée toutes les 3 minutes pour corriger des erreurs? ^^ Quelle patience! (bon et puis j’avoue je n’ai pas compris le coup des virgules haha)
C’était hyper intéressant en tout cas!
Bien du respect, car ce n’est pas facile, il faut être sacrément bon…
Je ne connaissais pas cette regle de l’incise et des deux virgules. Et je ne sais jamais tres bien ou mettre les miennes. Mais je ne trouve nulle part cette regle. Dans l’exemple que vous donnez ici, il me semble qu’une seule virgule donne un meilleur rythme a la lecture. Doit-on privilegier le rythme ou la grammaire?