« Tsi-tsi et encore tsi-tsi, Mulan tisse à la maison ». Voilà comment débute l’album. Mais l’atmosphère feutrée se rompt. Soudain, la jeune femme s’arrête et quitte son ouvrage. L’ordre de mobilisation général a été lancé, son père est attendu et il n’y a pas de fils aîné dans la famille de Mulan pour le remplacer. La jeune femme prend alors la décision de revêtir des habits d’homme, d’acheter un cheval et de s’enrôler à la place de son père.
La légende de Mulan, tout le monde la connaît ou presque, ne serait-ce que par la version adaptée en films d’animation par les studios Disney. Mais ici, point de version outrageusement romancée, à laquelle seraient venues s’ajouter intrigues amoureuses et péripéties héroïques. Chun-Liang Yeh propose une traduction du poème d’origine, qui a construit la légende de la célèbre héroïne chinoise et daté du IVe siècle. Le texte est concis, précis, poétique. En très peu de mots, la ballade de Mulan fait passer par différents stades : on quitte un univers assez douillet pour tomber dans la guerre, les exploits militaires, la nostalgie du foyer, la gloire, le retour chez soi 12 ans après le début de la guerre et les révélations finales sur l’identité de ce brillant soldat.
Le texte est très accessible pour les enfants, car la ballade possède le rythme ô combien confortable des contes anciens ; mais l’avantage du texte, c’est qu’il convient tout aussi bien aux adultes – c’est la force des classiques, qui atteignent un seuil d’universalité et d’intemporalité. Et bien que le texte ait plus de 17 siècles (ce qui n’est pas rien !), il traite d’une double problématique extrêmement contemporaine. En filigrane de la quête glorieuse et épique de Mulan se posent des questions de genre (puisqu’il s’agit d’une femme travestie dans le plus grand secret !) mais aussi d’identité : qui est Mulan, au juste ? Un brillant soldat ? Une fille aimante et dévouée ? Dans la version dessin animé, Mulan est réduite à son statut de femme « normale », puisqu’à la fin, tout est bien qui finit bien, elle est casée. Ici, rien de tout ça ! Mulan a accompli son devoir, mais la ballade ne la réduit pas au statut de femme soumise qui réintègre sagement le rang… et cela change agréablement de ce que l’on a l’habitude de voir !
Le texte est extrêmement intéressant, mais il ne fait pas la splendeur de l’album à lui tout seul. Clémence Pollet a choisi de l’illustrer en linogravures. La technique consiste à graver des plaques de linoléum avant de les encrer, les creux et bosses permettant de faire passer les différents motifs sur le papier. A cette technique particulière, Clémence Pollet a choisi de marier trois couleurs vives : le rouge, le jaune, le bleu. Résultat ? C’est spectaculaire ! L’illustration, avec ses motifs très découpés, a donc un délicieux petit air d’estampes, rehaussé par les couleurs vives. Splendide, vous dit-on !
La rentrée chez HongFei met l’accent sur deux figures emblématiques de la culture populaire chinoise (Le Héros, adapté par Pierre Cornuel d’un texte classique chinois du IIIe siècle, met en avant le personnage de Zhou Chu) et cet album consacré à Mulan est une superbe réussite : on recommande chaudement !
La Ballade de Mulan, Clémence Pollet. Texte traduit et présenté par Chun-Liang Yeh. HongFei Cultures, 10 septembre 2015.
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