ROMAN BIOGRAPHIQUE — L’association, dans une même phrase, des mots “fermière” et “Afrique”, fait immédiatement penser à Karen Blixen, l’auteur de La Ferme africaine – roman porté à l’écran sous le titre Out of Africa. Pourtant, l’Afrique peut s’enorgueillir d’une autre pionnière de la même trempe, elle aussi fermière au Kenya, aussi talentueuse que l’auteur danoise, quoique nettement moins connue : Beryl Markham. Paula McLain, déjà auteur d’une biographie romancée, Madame Hemingway, s’est penchée sur la figure fascinante de Beryl.
Beryl n’a que quatre ans lorsque sa famille arrive au Kenya, à Njoro. Elle n’a guère qu’un an de plus lorsque sa mère jette l’éponge et retourne en Angleterre, son fils aîné – de faible constitution – sous le bras. La vie s’organise donc comme elle peut chez les Clutterbuck : le père élève ses chevaux de courses, la fille vagabonde dans les collines alentour et fait l’apprentissage de la savane avec les enfants du village Kipsigi, parmi lesquels Kibii, son meilleur ami. Mais conseillé par de bons amis, le père s’aperçoit assez vite que Beryl ne peut être laissée ainsi, à presque 10 ans, à courir à moitié nue dans les taillis. Arrive donc Emma, une vraie lady de la colonie, chargée de domestiquer et de discipliner la jeune fille. Premier acte : lui faire – difficilement – porter des chaussures. Constatant que les leçons sont plutôt difficiles à avaler, plusieurs préceptrices et autres gouvernantes se succéderont chez les Clutterbuck, afin d’instruire la jeune fille. Au grand dam d’Emma, c’est à coups de mamba noir glissé entre les draps et autres farces que Beryl chasse le personnel. Elle ira donc en pension. Mais elle a la peau dure et son obstination paye : elle revient très vite au domaine et travaille aux côtés de son père, soignant et dressant les chevaux. Exactement là où elle le voulait depuis le début, en fait. Une chose est sûre, Beryl ne manque ni d’obstination, ni de volonté.
Et ce trait de caractère la conduira loin. Lorsqu’à contrecoeur, elle prend conscience des problèmes d’argent de son père, elle décide de se marier avec Jock Purves, un voisin bien plus âgé qu’elle, alors qu’elle n’a que 17 ans. Las, elle va vite déchanter… Rien ne pressait et Jock s’avère être tout sauf le mari idéal. Mais il en faut plus pour abattre la jeune Mme Purves. Elle décide donc de quitter le domicile conjugal pour aller… travailler. Parfaitement. Et quoi de mieux que d’entraîner des chevaux chez D., un ami de son père ? Malgré les bouderies de Jock (qui a peur du qu’en-dira-t-on et se montre affreusement jaloux), Beryl établit ses quartiers et il ne lui faut pas longtemps pour également imposer sa marque et son savoir-faire. Elle est douée ? Qu’à cela ne tienne. Elle deviendra entraîneuse professionnelle. Et peu importe qu’elle soit une femme, anglaise, qu’elle n’ait pas 19 ans, et qu’elle vive séparée de son mari. Inutile de préciser, on imagine, que là aussi, elle parvient à ses fins ?
Paula McLain rend justice à la figure solaire de Beryl Markham, qui est passée à la postérité, non pas pour son incroyable caractère (quoique !), mais comme la première aviatrice à avoir effectué en solo la traversée de l’Atlantique d’est en ouest, en 1936. Irrésistible, a-t-on dit !
Sous la plume de l’auteur, c’est toute la colonie anglaise que l’on voit resurgir, dans ses contrastes. Si Beryl n’éprouve aucun problème à courir en pagne, pieds nus, dans les taillis, à chasser avec les Kipsigi et à monter à cheval à califourchon (évidemment), on attend plutôt d’une jeune dame qu’elle soit constamment tirée à quatre épingles – ce qu’Emma parvient à faire avec classe, elle – qu’elle ait de la conversation et de bonnes manières – ce qui n’est pas le point fort de notre héroïne. De fait, l’éducation très libre de Beryl lui a donné des idées extrêmement modernes, voire choquantes pour les membres les plus prudes de l’intelligentsia locale. Moderne, anticonformiste, libre, Beryl est tout ce que ne devrait pas être une jeune lady de la colonie. Paula McLain met à merveille en scène l’opposition entre Beryl et ses compatriotes. Finalement, la seule figure comparable dans les parages est celle de Karen Blixen, qui tient sa ferme seule, pendant que son mari organise des safaris par monts et par vaux – et s’occupe de sa maîtresse. Karen Blixen et Beryl deviennent d’ailleurs rapidement amies, réunies par un troisième personnage : Denys Finch-Hatton, l’aviateur amant de Karen Blixen – et auquel Beryl n’est pas du tout indifférente !
Si cette biographie romancée a pour titre L’Aviatrice, le parcours de pilote de Beryl n’occupe qu’une toute petite partie du roman (guère plus que l’incipit et les derniers chapitres, à vrai dire). Il faut dire que les mille autres vies de Beryl valent largement leurs quotas de pages, tant elle s’est occupée. De grands espoirs en cruelles désillusions, Paula McLain brosse le portrait d’une jeune femme plus que déterminée et très en avance sur son temps, pour laquelle il est difficile de ne pas ressentir de l’admiration. Difficile, aussi, de ne pas tomber en extase devant les panoramas kenyans décrits. Si le roman ne donne pas spécialement envie de visiter une colonie anglaise du début du XXe siècle, bien trop rigide et étroite d’esprit, il suscite l’irrépressible envie d’aller se perdre dans les immensités décrites par l’auteur.
C’est avec talent que Paula McLain ressuscite pour les lecteurs la figure envoûtante de Beryl. Ses aventures, pour le moins modernes et exotiques, sises dans des paysages que l’on devine à couper le souffle, sont tout simplement fascinantes, qu’il s’agisse de ses parcours professionnels, sentimentaux ou personnels. Voilà une excellente biographie romancée que l’on recommande chaudement !
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