Les Limites de l’enchantement, un roman merveilleux !

Les Limites de l'enchantement, Graham Joyce, Folio SF

ROMAN FANTASTIQUE — Graham Joyce est un grand auteur britannique de fantastique, malheureusement décédé fin 2014. Né à Coventry, il s’est servi de la ville comme décor pour son excellent roman intitulé Lignes de vie. Aujourd’hui, nous vous parlons d’un autre de ses textes – excellent, lui aussi : Les Limites de l’enchantement.

Fern vit dans un monde légèrement en marge du nôtre. Elevée par Maman Cullen, dans la campagne anglaise, Fern est capable de lire l’étoffe du monde dans la nature, comme tous les autres initiés. Maman Cullen est une figure locale : c’est à elle que les futures mariées pauvres demandent un gâteau de mariage plein d’amour, à elle que l’on s’adresse pour les petites misères du quotidien, les naissances – et les avortements. Or, si les années 60 commencent seulement à toucher le village, la société moderne, elle, est déjà bien en marche et Fern va devoir y faire soudainement face. La ferme d’à côté est habitée par des hippies, qui amènent leurs drôles de mœurs et leur étrange musique ; Fern et Maman Cullen sont sur le point d’être expulsées, faute d’avoir réglé leur loyer ; et des suspicions commencent à courir sur l’activité de Maman Cullen.
Un peu jeune, et peut-être un peu naïve, Fern pense qu’après avoir aidé tant de gens, elle trouvera bien, à son tour, des mains secourables. Or, il ne fait pas bon être différent. Et ça, les voisins vont rapidement le lui faire comprendre, montrant à Fern où se situent les limites de l’enchantement.

Comme dans Lignes de vie, c’est par petites touches que s’invite le fantastique dans le récit. Maman Cullen, on l’a vu, est la rebouteuse-accoucheuse du coin et tout le monde lui en sait gré. Comme tout le monde sait qui solliciter quand une grossesse non désirée fait son apparition. En tant qu’héritière, Fern se doit d’avoir les mêmes capacités, à défaut de pouvoirs. Mais Fern a quelques doutes sur les pauses mystiques de sa mère. En revanche, elle a hérité de son esprit en communion avec la nature et les traditions, qu’elle respecte, comme tous les initiés de son acabit.

Les Limites de l'enchantement, Graham Joyce, Folio SF

Si le fantastique apparaît en touches légères, c’est aussi parce que le portrait de la société est très réussi. Dans le village de Fern, on commence donc à trouver d’un autre âge la médecine naturelle et, alors que tout le monde la somme d’avancer, Fern essaie de concilier ses objectifs et son héritage. Sorte de sorcière des temps modernes, elle interroge la nature pour essayer d’obtenir de l’aide.
Et Graham Joyce, de son envoûtante plume, fait passer cela avec une aisance extrême. Fern n’est pas une jeune femme enfermée dans une vision passéiste et incapable d’avancer ; Fern est simplement quelqu’un qui tente d’avancer à son rythme, en faisant avec les aléas de la société et les comportements humains. A ce titre, le portrait de cette campagne anglaise à mi-chemin entre futur et passé est d’ailleurs très réussi ; on ressent vivement les ambivalences de l’époque, cette volonté de rejeter les choses du passé tout en s’y accrochant encore : les villageois rejettent les plantes médicinales… mais continuent de célébrer des traditions ancestrales, qualifiées de païennes par l’Eglise.

Le rythme est très posé, le merveilleux diffus. Pourtant, on ne s’ennuie pas une seule seconde, car Graham Joyce croque ses personnages avec grand talent. Fern, bien sûr, est attachante mais tous ceux qui gravitent autour d’elle le sont aussi à leur façon – sauf peut-être les pontes de l’agence immobilière, qui incarnent le modernisme à outrance.

Finalement, ce qui fait de ces Limites de l’enchantement un roman si réussi, c’est la sensation qu’il laisse une fois qu’on l’a terminé. Graham Joyce y livre une si belle ode à la nature, un si vibrant hommage à la différence et au droit d’être marginal, qu’il est bien difficile de passer à une autre lecture.

Les Limites de l’enchantement, Graham Joyce. Traduit de l’anglais par Mélanie Fazi. Folio SF, octobre 2015. 

A propos Oihana 711 Articles
Lectrice assidue depuis son plus jeune âge, Oihana apprécie autant de plonger dans un univers romanesque, que les longues balades au soleil. Après des études littéraires, elle est revenue vers ses premières amours, et se destine aux métiers du livre.

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