En 1982 germe l’idée d’une éducation alternative, face aux secousses des lycées traditionnels qui commencent à présenter des faiblesses et des échecs de plus en plus notoires. Cette nouvelle vision de l’éducation compte mettre l’élève au centre du système, véritable moteur de sa scolarisation, libre de participer aux enseignements dirigés par une poignée de professeurs idéalistes qui croient aux valeurs et à la nécessité d’un tel système. Envoyé Spécial, le magazine d’investigation diffusé le jeudi soir sur France 2, revient 17 ans après dans ce lieu un brin différent des autres lycées français.
Le Lycée Autogéré de Paris (LAP), UN LYCÉE DE RÊVE
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Difficile voire impossible d’imaginer possible l’existence d’un tel établissement. Et pourtant, dans le Lycée Autogéré de Paris, élèves et professeurs se tutoient, l’ambiance est douce et décomplexée, les élèves sont décontractés, le mot « Baccalauréat » n’est pas l’objectif suprême de cette école qui échappe à tous les clichés éducatifs. Et pour cause, vous ne verrez jamais dans le LAP de classes surchargées, d’emplois du temps de 40 heures par semaine, de notes qui sanctionnent plus qu’elles ne valorisent, de remarques désobligeantes pour des retards imputables aux transports scolaires, de hiérarchisation et de classification effrénées des élèves : tout, là-dedans, nous paraît étrange, pour tout petit élève qui a suivi ses études dans un établissement comme tout autre établissement français. Téléphone, casquettes, cigarettes autorisées en cours. Nous sommes aux antipodes des moules établis par l’Éducation Nationale. La liberté totale des élèves n’est pas la conséquence directe d’un laxisme exagéré, ni d’une politique de réduction des effectifs du personnel enseignant ; elle est la cause même de l’existence de ce lycée, le souhait le plus cher de quelques progressistes fatigués par les trop lourdes exigences d’un système traditionnel qui perd de vue l’individualité des élèves, qui sacrifie les rêves de chacun au nom de l’obtention d’un « tout puissant » diplôme national.
Ainsi, le LAP repose sur quelques piliers énoncés il y a 17 ans déjà, et que les successeurs ont choisi de pérenniser : favoriser l’apprentissage par la libre fréquentation, par l’expression artistique et le pouvoir de chacun de mener à bien ses projets personnels. Les graffitis sur les murs, le baby foot, l’accès libre aux réseaux sociaux, sont les traces éloquentes d’un désir de redonner la parole aux étudiants, de les laisser s’exprimer, partager et communiquer. Chaque décision est soumise au débat et au vote, et chaque lycéen a l’opportunité de participer au bon fonctionnement de l’établissement. Le ménage, la comptabilité, l’entretien des locaux, sont autant de responsabilités imposées aux étudiants eux-mêmes qui apprennent que la liberté n’est pas un concept à sens unique, qu’elle se gagne par la rigueur et la confiance, qu’elle n’est pas simplement offerte à qui veut la prendre. Cette liberté combinée à une complicité exceptionnelle entre le professorat et les élèves permet de redonner le goût de l’apprentissage, du travail bien fait, en plaçant le savoir plus que le diplôme final comme une finalité digne d’intérêt. 17 ans après, le LAP ne semble pas avoir eu la nécessité de se réformer, comme bon nombre d’établissements publics entachés par des réputations déplorables, totalement restructurés au fil des années, au nom de redressements financiers qui ont finalement masqué les véritables préoccupations éducatives – c’est-à-dire le bien-être des élèves, gage de leur réussite.
Le LAP est parvenu à pérenniser l’éducation sans tomber dans la sévérité, sans vendre « l’âme de l’éducation » au prix d’un devoir d’apprendre sans réfléchir. D’ailleurs, de nombreuses activités éloignées des cours classiques valorisent les capacités de l’élève à s’ouvrir au monde, à côtoyer d’autres disciplines que celles imposées par l’Éducation Nationale, comme la musique et le théâtre, pour développer son acuité intellectuelle et sa sensibilité individuelle. L’éducation par excellence, prônée par Pythagore, Platon et Boèce – pour n’en citer que trois – ne prenait-elle pas en compte la musique comme une science à part entière ?
Mais le LAP, malgré son florilège d’activités extrascolaires, dépend malgré tout de l’Éducation Nationale, grande prêtresse de l’éducation, qui impose le respect des programmes du Baccalauréat. Ainsi, le temps dépensé dans d’autres activités artistiques n’est pas un temps perdu, puisque le petit nombre d’élèves au sein des classes permet de se concentrer plus facilement, de travailler plus aisément et d’avoir un suivi personnel de la part du professeur. La plupart du temps, ils enseignent à deux par matière, ce qui fait état de luxe face à un système traditionnel bouché par l’afflux permanent d’élèves, le peu de postes disponibles, les sureffectifs et les emplois du temps surchargés, qui malmènent l’élève et sacrifient son épanouissement personnel.
Mais une liberté totale n’est-t-elle pas, finalement, la voie ouverte sur tous les excès ? « Dans le pays de la liberté, les élèves du LAP naviguent souvent dans une souplesse poussée à l’extrême. Sans une bonne dose de maturité et d’autodiscipline », peu s’accrochent véritablement à leurs études. L’absentéisme y est, comme partout, record. Mais contrairement aux lycées traditionnels qui cherchent par tous les moyens à combattre le fléau de l’absentéisme, le LAP laisse le pouvoir aux élèves de choisir s’ils souhaitent venir ou non. Et, le grand sacrifié sur l’autel de la liberté poussée à l’extrême, est bien évidemment le BAC. Avec 30% de réussite depuis plus de 17 ans, le LAP peine à se positionner dans la moyenne française, établie à presque 86% de réussite. Mais le lycée s’en content, préférant s’intéresser aux projets des étudiants, à la réconciliation de chacun avec les difficiles exercices du savoir, plutôt que de préparer tout un chacun à l’obtention d’un diplôme qui a définitivement perdu de sa valeur. Face à beaucoup de lycées qui choisissent leurs élèves dès la 4°, excluant tous ceux qui n’atteindraient pas un niveau exemplaire, le LAP exclue l’idée d’une classification entre les élèves. Le savoir ne serait-il, maintenant, qu’un pourcentage de réussite plaqué sur la tête de l’élève ? Le LAP échange bien volontiers la réussite au BAC contre le plaisir d’apprendre.
A l’heure où les réformes se succèdent, mettant en avant le lent processus de démantèlement du système éducatif français, noyé sous tant de réformes, ne parvenant que difficilement à reboucher les fissures qui se sont élargies au fil des décennies, il est parfois bon de s’interroger sur une nouvelle forme de scolarisation, celle de l’autogéré. N’est-ce pas là le signe d’une lente implosion du système traditionnel, à bout de souffle, dont les fissures d’antan affaiblissent le cœur de l’éducation à la française. N’y a t-il pas la nécessité de s’intéresser à de nouvelles formes d’enseignement ? Le LAP donne le temps d’être soi-même, de savoir exprimer les douloureuses contradictions adolescentes, les réflexions personnelles que l’on abhorre dans le lycée traditionnel, la subjectivité condamnée par une phrase que l’on a pu nous marteler durant nos années-lycée : « le ‘je’ est condamnable ». Au-delà d’un ‘je’ qui isole, les élèves du LAP apprennent à dépasser le soi, à faire coïncider ce ‘je’ avec un ‘nous’ participatif et harmonieux, autour de projets créatifs et artistiques qui parviennent à laisser s’exprimer les sensibilités individuelles et les petits espoirs de chacun. Et si ce système se généralisait, l’éducation française n’y gagnerait-elle pas en humanité ?
Envoyé Spécial a toujours échappé au morbide, au sordide et à l’exacerbation des instincts les plus primaires. Contrairement à bon nombre d’émissions aux heures de grande écoute qui ne se lassent jamais de diffuser des reportages sur des sujets de société où les individus sont tournés en dérision, parfois déshumanisés, Envoyé Spécial s’évertue à mettre sur un piédestal l’intégrité humaine et le traitement des thèmes d’actualité avec un professionnalisme certain, digne d’une chaîne publique.
Par Maxime