Prodigy, Marie Lu

Après le succès retentissant de Legend (un film est déjà en préparation outre-Atlantique), les éditions Castelmore reviennent avec Prodigy, second opus de la trilogie dystopique de Marie Lu. La dystopie, rappelez-vous, c’est ce genre fictionnel décrivant une contre-utopie : ces sociétés imaginaires, prônant le bonheur de la population, sont en fait organisées de telle façon qu’elles empêchent leurs membres d’atteindre le bonheur, et présentent une sorte de catalogue des pires possibilités. Sujet que s’attache à traiter Marie Lu, avec intelligence, dans sa série. 

Dans Legend, on suivait June, petit prodige de la Nation, enquêtrice émérite, lancée sur les traces de Day, un dangereux hors-la-loi. Suite aux divers événements narrés dans le premier tome, les deux adolescents se retrouvent embarqués dans la même galère, et confrontés à ce que tout héros de dystopie souffre à un moment ou à un autre de sa carrière littéraire : chacun se rend compte que son camp ne lui a peut-être pas tout révélé. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, Day et June tentent quand même le tout pour le tout pour ramener la situation à la normale dans leur patrie. Et il s’en passe, des choses, dans cette patrie ! Après une transition politique houleuse (le Président à vie meurt et son jeune fils lui succède, mais il n’est pas plébiscité par le Sénat, loin de là), divers actes terroristes visant à semer la zizanie, et des rebondissements changeant toute la donne, nos jeunes protagonistes commencent à ne plus trop savoir où ils en sont, ni où donner de la tête.

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Là où Marie Lu se démarque intelligemment des autres dystopies, c’est dans le traitement qu’elle accorde à ce fameux système politique. En littérature jeunesse dystopique (ado, et jeune adulte), le fait semble acquis que le pays où se déroule l’action est « unique » : ou bien il est fermé par un quelconque moyen, ou bien on ne nous parle absolument pas des pays voisins ou limitrophes (si ce n’est pour évoquer un idéal lointain). Ici, depuis le début, on sait que les anciens États-Unis, suite à une fulgurante et dévastatrice montée des eaux, ont été séparés (globalement) par une ligne Nord-Sud : les fameuses Colonies, ennemi d’État, occupent donc une des deux moitiés du continent. Et cela devient intéressant lorsque l’auteur choisit de faire découvrir et analyser le régime politique des Colonies à nos jeunes protagonistes : quittant un État hyper-militarisé, quasiment dirigé par une junte militaire, ils passent à un État-marchand, gouverné par des entreprises fortes et omnipotentes : chaque citoyen est tenu de trouver une entreprise qui le sponsorisera dans ses études, afin de lui accorder une vie professionnelle stable. Les autres ? Les autres traînent leur misère où ils peuvent, vivent dans le ghetto et ne comptent ni sur la police, ni sur les secours, car ils n’ont pas de quoi acquitter leur forfait de protection. Avouez que ça donne envie, tout de même.

Forts de ces informations ô combien réjouissantes, June et Day opèrent donc un revirement fort original dans le flux littéraire dystopique actuel : au lieu de souhaiter simplement renverser le gouvernement (ce qui est généralement l’objectif des protagonistes, et après la réalisation duquel le récit s’arrête), ils se disent que, finalement, tout n’est pas si pourri au royaume du Danemark, et qu’il suffirait peut-être juste d’aider les bonnes personnes à aller dans le bon sens pour que la situation s’améliore. Voilà un pari audacieux de l’auteur, dont les protagonistes quittent le rôle de jeunes têtes-brûlées pour se poser en défenseurs de la Nation – autant dire que c’est quasiment du jamais-vu.

L’intrigue est donc plus complexe que dans le premier volume. Si, passé un certain point, les développements sont prévisibles, cela ne gâche en rien le plaisir de lecture ! Le scénario est très équilibré, et l’alternance des points de vue entre Day et June rend le tout très prenant.
Marie Lu a, de plus, un réel talent pour saisir la psychologie de ses personnages : dans le premier volume, Day et June semblaient quelque peu monolithiques. Ici, ils sont nettement plus nuancés et leur psychologie s’étoffe. Par ailleurs, l’auteur détourne le triangle amoureux qui semble être un passage obligatoire, dans la production actuelle. Triangle amoureux il y a, certes, mais uniquement dans le but de faire réfléchir et évoluer les personnages, qui prennent, alors, du recul sur leur situation. C’est fait intelligemment, et cela rend le roman bien plus profond que ce à quoi nous a habitué la production actuelle !

Avec Prodigy, Marie Lu offre à Legend une suite très mature, qui relève haut la main le défi lancé par le premier. L’auteur livre une suite plus complexe, plus dense, plus sombre, et mieux menée que le tome précédent. Marie Lu, avec Prodigy, se démarque des dystopies actuelles avec un angle original, et un détournement intelligent des clichés du genre. Si le premier tome vous avait plu, celui-ci devrait également faire votre bonheur ; si, en revanche, il vous avait semblé un peu trop léger, celui-ci devrait vous convaincre !
Rendez-vous fin juin pour le troisième et dernier tome !

Prodigy, Marie Lu. Castelmore, 2013.

Par Oihana

A propos Oihana 710 Articles
Lectrice assidue depuis son plus jeune âge, Oihana apprécie autant de plonger dans un univers romanesque, que les longues balades au soleil. Après des études littéraires, elle est revenue vers ses premières amours, et se destine aux métiers du livre.

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