James Morrow est connu pour ses textes caustique. D’ailleurs, lui-même se définit comme un satiriste social. Au sommaire de sa très alléchante bibliographie, on retient notamment la Trilogie de Jéhovah, ou bien Le Dernier chasseur de sorcières. Seul point commun : des textes volontiers provocateurs, mais proposant aussi (et surtout) de passionnantes et profondes réflexions. Une tendance que ne dément pas son dernier titre, Hiroshima n’aura pas lieu.
Et si Hiroshima n’avait pas été une fatalité ? En cet été 1945, c’est ce que souhaite l’état-major de la Navy américaine. Alors que la bombe atomique est prête à être larguée, les hautes instances militaires ont peut-être une autre arme sous la main.
Leurs équipes scientifiques ont réussi à créer une race d’iguanes cracheurs de feu et particulièrement destructeurs. L’idéal serait de pouvoir les larguer au large des côtes japonaises et les laisser faire le travail. Mais la Navy préfère tenter l’intimidation en invitant une délégation japonaise à une démonstration. Problème : les iguanes pourraient gâcher la fête en ne faisant pas exactement ce qu’il faut pour terrifier efficacement les Japonais.
Or, c’est aussi l’âge d’or du cinéma de monstres à Hollywood : momies, vampires, tueurs chimériques à crocs ou à plumes, il y en a pour tous les goûts, et les acteurs sont nombreux. C’est décidé : la Navy va en recruter un, lui fournir une maquette de cité nippone, un costume sophistiqué, un scénario bien ficelé, et il n’y aura plus qu’à impressionner durablement la délégation.
C’est sur Syms Thorley que cela tombe : il est recruté, aussitôt mis au courant – et au secret – et prié de réviser ses classiques de monstre de foire.
Le roman s’ouvre sur les premières lignes du testament de Syms Thorley, qui prend la plume des années après ces événements, pour revenir sur cette étrange expérience. On plonge rapidement dans un univers très particulier, celui des films de science-fiction en noir et blanc, dont l’ambiance des tournages est particulièrement bien rendue. C’est drôle, décalé, et le projet totalement improbable de la Navy cadre tout à fait avec l’ambiance du roman.
James Morrow s’y entend pour croquer les personnages : aspirations et mépris de l’état-major sont clairement perceptibles, bisbilles entre acteurs, petites guerres à la gloire sont divinement rendues. L’auteur joue sur la veine humoristique, en présentant à la fois ces petits univers fermés, et en mettant en scène l’aventure : lecture du scénario, répétitions, multiples péripéties toutes plus rocambolesques les uns que les autres et, enfin, la représentation.
Flirtant avec l’uchronie, le texte de James Morrow est également délicieusement incisif : on retiendra surtout le réquisitoire pacifiste qui se lit au travers des mots de Syms Thorley, qui s’élève contre la barbarie et la bêtise humaines, notamment sur la fin du texte. Le début est certes totalement décalé, mais c’est l’émotion qui prime dans les dernières pages, jusqu’au point final.
Court, dense, décalé, caustique, mais néanmoins subtil et brillant, Hiroshima n’aura pas lieu est un exercice de haut vol. L’uchronie, diablement efficace, sert un propos militant, enjoignant à la réflexion et surtout au pacifisme. Un petit bijou de science-fiction !
Hiroshima n’aura pas lieu, James Morrow. Au Diable Vauvert, mai 2014. Traduit de l’anglais par Philippe Rouard.
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