THRILLER HISTORIQUE — David Thomas est un journaliste anglais spécialiste en reportage d’investigation, qui a écrit quelques polars sous le pseudonyme de Tom Cain. Avec Ostland, il couple le roman historique au thriller psychologique.
Berlin, 1941. Le jeune et ambitieux Georg Heuser intègre la police berlinoise en tant qu’inspecteur à la brigade criminelle. Dès le premier jour, il est affecté à la traque d’un tueur en série. Celui hante les trains de la S-bahn, repère les femmes seules, les tue et les jette du train. L’enquête met les nerfs à vif de tout le monde ; sous la tutelle de son supérieur et mentor, Georg affûte ses talents d’enquêteur, se découvre de vrais amis et se jure de toujours faire triompher la justice.
Pendant ce temps-là, la situation internationale dégénère lentement mais sûrement.
Pour le féliciter de ses bons résultats, on le promeut au sein de la S.S. Et la vie de Georg change radicalement… Lui qui n’était que vaguement partisan par nécessité professionnelle devient un nazi de plein droit. Envoyé à Minsk, il est chargé de superviser l’arrivée de convois de déportés juifs au ghetto local. Or, ce qui n’a pas changé, c’est que Georg reste un ambitieux. Il obéit donc aux ordres que sa hiérarchie lui donne, sans trop se poser de questions.
Surtout, pour survivre, ne pas se poser de questions. Et absorber des litres et des litres de vodka. Voilà le plan qu’appliquent, assez vite, Georg et ses collègues d’infortune.
Le roman mène deux trames en parallèle. Au premier plan, la vie de Georg pendant la guerre, avec ses questions, ses ambitions et ses actes. En second plan, on suit des inspecteurs attachés aux crimes de guerre, dans les années 1960, chargés d’apporter des preuves aux juges en charge des procès de Nuremberg. Dans le cadre de cette enquête, la jeune et talentueuse juriste Paula est chargée d’aller interroger Georg, toujours détenu en prison. Et elle rencontre un homme froid, calculateur, bien éloigné du Georg des premières pages, fier d’expliquer au lecteur qu’il n’était pas un nazi.
C’est là que le roman atteint d’ailleurs sa limite. En effet, toute l’histoire est, finalement, racontée a posteriori. Pour des raisons évidentes, en 1961, Georg a eu tout le temps de réfléchir à ses actes et d’analyser la façon dont son esprit a été méthodiquement détruit. Or, c’est aussi le Georg de 1961 qui revient sur son action de nazi, plaquant sur ses actes de l’époque les raisonnements menés depuis lors. Et, dans la première partie, cela occulte complètement la descente aux enfers du personnage. C’est avec quarante ans de recul que Georg est capable de pointer du doigt les instants de bascule et de décortiquer ce qu’il devient. Ce n’est pas inintéressant, mais l’impact est moins important que ce à quoi on aurait pu s’atteindre. Heureusement, sur la fin, la plume de l’auteur laisse plus d’espace d’expression au tout jeune S.S. qui finit par être touché par l’horreur indicible qu’il est en train de commettre.
S’illustre ainsi à merveille la dualité du soldat qui s’arrange avec sa conscience (en se disant que, de toute façon, la responsabilité morale ne lui incombe pas). En choisissant ce mode de narration éclaté, l’auteur parvient à garder le personnage sur le fil tout du long. Si le Georg vieillissant a bien compris comment il en est arrivé à faire ce qu’il a fait (et avec lui tous les autres soldats, dont la plupart n’étaient même pas antisémites) et permet d’humaniser le soldat, rien dans le roman ne porte à croire qu’il ait pu être innocent ou une victime. Pari réussi pour l’auteur !
Le cadre historique est bien documenté : que ce soit dans le Berlin des années 1940 ou, plus tard, à Minsk, tout cela semble avoir été solidement étudié. Il n’y a guère que la partie juridique qui s’avère moins passionnante, comparée au reste.
David Thomas signe donc un thriller historique qui propose un point de vue intéressant ; malgré quelques redites et une analyse pas aussi carrée qu’elle aurait pu l’être, c’est un roman plutôt prenant et qui a l’art de poser les bonnes questions.
Ostland, David Thomas. Traduit de l’anglais par Brigitte Hebert. Presses de la Cité, octobre 2015.
Il a rejoint ma WL il y a quelques semaines. Ce thriller historique m’intrigue vraiment et ta chronique renforce ma curiosité.
J’espère que tu apprécieras alors !
Mmh… ça ne me dit pas trop. Merci de ton avis.
De rien ! Parfois, ça ne marche autant qu’on le voudrait !