La Vérité sur Alice : lycée, rumeurs et slut-shaming

La vérité sur Alice, Jennifer Mathieu, Pocket Jeunesse, PKJ

ROMAN ADO — Jennifer Mathieu est professeur et auteur de romans pour adolescents, évoquant des thématiques propres à cette tranche d’âge. Son premier roman, La Vérité sur Alice¸ vient de paraître en français chez Pocket Jeunesse, évoque la douloureuse question du harcèlement scolaire.

Alice Franklin est élève en première au lycée de Healy. Alice est une traînée. Tout le monde le sait. La preuve, elle a couchée avec deux mecs d’affilée à la soirée d’Elaine O’Dea. Mais il y a pire.
Alice est une meurtrière.
Avec ses sextos, elle a provoqué l’accident et la mort de Branbon Fitzsimmons, star de l’équipe de foot du lycée.
C’est écrit partout sur les murs des toilettes du lycée. Et si c’est écrit, c’est que c’est vrai, non ?

Au lycée de Healy, tout le monde tient pour acquis qu’Alice est une traînée et une meurtrière. Personne n’a assisté à aucun des deux événements. Mais tout le monde a sa vérité.
Il y a Elaine, qui organisait la soirée fatidique, sortait – vaguement – avec Brandon, fait partie des filles les plus populaires du lycée et a du mal à faire son deuil de ce presque-petit-ami décédé.
Il y a Kelsie, l’ancienne meilleure amie d’Alice, élève un peu en marge lorsqu’elle était à Flint, assimilée aux populaires à Healy, et qui lâche Alice comme une vieille chaussette dès qu’elle sent le vent tourner. Kelsie à qui il est arrivé, l’été précédent, le Truc Trop Horrible qu’elle a du mal à digérer et qui répand les pires calomnies sur Alice.
Il y a Josh, le meilleur ami de Brandon, qui était présent au moment de l’accident, ne se remet pas de la mort de son ami et qui a raconté à tout le monde l’affaire des sextos envoyés par Alice.
Enfin, il y a Kurt, l’intello local au QI de 540, admirateur secret d’Alice, le seul lycéen à ne pas lui tourner le dos.

Quatre narrateurs, et pas d’Alice au programme : non, Jennifer Mathieu préfère nous livrer les différentes versions de la vérité sur Alice par les voix des différents témoins de l’affaire – avec trois points de vue contre elle et un seul élève faisant usage de son cerveau. Alice n’aura droit qu’au chapitre final, qui viendra conclure, comme un point d’orgue, cette sordide affaire.

Sordide, c’est le mot qui qualifie l’ensemble. Car ce qui arrive à Alice est inqualifiable : son nom est traîné dans la boue, elle est mise à l’écart et, semble-t-il, aucun adulte ne souhaite mettre un terme au calvaire que subit la lycéenne. Pire, il y a même certaines voix pour s’élever contre sa présence en ville. Jennifer Mathieu montre combien la rumeur peut être puissante et combien il est facile de céder à ses sirènes. Pas un seul de ces lycéens ne s’interroge sur ce qui s’est réellement passé : si untel le dit et si c’est écrit, pourquoi en douter ?
Au fil des chapitres, pourtant, les camarades d’Alice vont s’interroger sur leur action, leurs interventions étant autant de moyens de révéler combien ils mentent à leurs congénères et combien ils se mentent à eux-mêmes. Pêle-mêle, l’auteur évoque des thèmes comme les contraintes de l’apparence, l’homosexualité, l’avortement mais tout cela reste un peu superficiel, l’histoire étant vraiment centrée sur le harcèlement que subit Alice.

L’angle d’approche qu’elle a choisi, excluant de fait le point de vue de la principale intéressée est original : loin de montrer les conséquences terrible que ce harcèlement a sur Alice, elle montre à quel point l’affaire peut vite dégénérer et devient le fait de tous, poussant ainsi le lecteur à réfléchir. Jennifer Mathieu dénonce ainsi les jugements que subissent les jeunes filles – et, a fortiori – les femmes sexuellement actives, considérées par l’ensemble de la société comme des traînées. Aux Etats-Unis, ce phénomène s’appelle le slut-shaming et n’allez pas croire qu’il s’agisse d’un épiphénomène innocent : il y a des victimes continuellement – généralement par suicide – et les Français ne sont pas les derniers à donner dans ce comportement nauséabond. Ainsi, Jennifer Mathieu met le doigt sur le point qui fait mal : Alice, quoi qu’elle fasse, avait tort. En couchant avec les deux garçons, elle devenait la traînée que l’on sait ; en refusant, elle s’exposait à leur vengeance, aussi terrible que puérile. Mais, finalement, à 17 ans, n’avait-elle pas le droit de faire ce qu’elle voulait sans craindre de représailles ? Manifestement, dans notre monde actuel, non.

La vérité sur Alice, Jennifer Mathieu, Pocket Jeunesse, PKJ

Heureusement, finalement, que l’auteur a introduit le personnage de Kurt, le nerd de service, mais le seul à penser justement et à ne pas ostraciser Alice : la preuve qu’avec un peu d’efforts, notre société peut encore ne pas sombrer dans la bêtise la plus crasse – à condition de les faire, évidemment.

La Vérité sur Alice est de ces romans adolescents que l’on aimerait conseiller à tous : en évoquant les jugements hâtifs et harcèlements insupportables qui pèsent sur les adolescents et adolescentes, Jennifer Mathieu croque un des travers les plus honteux de notre société et dénonce un phénomène déjà trop bien ancré, qu’il faut combattre avec la plus grande rigueur. Lire ce roman afin d’en comprendre toutes les subtilités pourrait être un bon premier pas.

La Vérité sur Alice, Jennifer Mathieu. Pocket Jeunesse, février 2016. Traduit de l’américain par Cécile Tasson. 

A propos Oihana 710 Articles
Lectrice assidue depuis son plus jeune âge, Oihana apprécie autant de plonger dans un univers romanesque, que les longues balades au soleil. Après des études littéraires, elle est revenue vers ses premières amours, et se destine aux métiers du livre.

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