ROMAN HISTORIQUE — Auréolé de son succès dans les médias et les librairies anglo-saxons, Le Serpent de l’Essex arrive sur les tables des libraires français en ce début janvier. On y découvre Cora Seaborne, une jeune veuve éprise de liberté, qui tombe sous le charme d’un petit village dans l’Essex, où son arrivée va chambouler le quotidien du pasteur local.
Libérée par le veuvage : l’idée est impossible à exprimer pour Cora, mais la réalité est là, tangible. Depuis la mort de son mari d’une maladie qui lui a permis de surcroît de se faire un ami, le Dr Luke Garrett, Cora revit : elle n’est enfin plus sous le joug de cet homme cruel et méprisant, qui avait réussi à saper toute sa confiance en elle, et qu’elle appelait son mari. Probablement un pervers narcissique, mais à l’époque où vit Cora, cette appellation n’a pas cours et il n’est pas correct d’admettre qu’un veuvage est la meilleure chose qui puisse arriver à une femme.
Voilà donc Cora libre de faire ce qu’elle veut. Et ce qu’elle veut, c’est quitter Londres, quitter la ville, pour s’immerger dans la campagne anglaise où, férue de paléontologie, elle pourra explorer et fouiller le sol, dans l’espoir, peut-être, de faire une découverte digne d’intérêt. Avec son fils et son aide Martha, elle s’installe à Aldwinter, où des amis la recommandent au pasteur local, Will Ransome. Elle découvre un hameau fébrile, terrorisé à l’idée que le terrible serpent de l’Essex, sorte de monstre mythologique qui dévore les enfants, puisse rôder dans les parages. Le serpent de l’Essex est-il réel ou une simple légende ? Cora, exubérante et audacieuse, compte bien le découvrir… même si, chemin faisant, elle dérange le quotidien bien rôdé de la famille Ransome.
Portrait intime d’une femme qui redécouvre la vie et la liberté après des années de noirceur, Le Serpent de l’Essex dresse également le panorama d’une époque charnière, entre la fin de l’ère victorienne, rigide par excellente, et l’époque moderne, plus souple, plus libre. Cora incarne bien cette femme de l’entre-deux. Après des années à incarner l’épouse victorienne par excellence, à s’engoncer dans des corsets, à emprisonner sa lourde chevelure dans des chignons qui défient la gravité, elle décide de n’obéir plus qu’à ses désirs. Si cela implique de nier sa féminité, de s’attifer de vêtements masculins, et de déambuler couverte de boue et décoiffée dans la lande, elle le fera avec joie, malgré la réprobation de ses amis. Mal à l’aise avec ce rôle d’épouse et de mère dans lequel son époux l’a confinée, Cora se rêve paléontologue, sur les traces de Mary Anning (Tracy Chevalier a consacré à cette dernière l’excellent Prodigieuses créatures, que l’on vous conseille également).
C’est dans l’ambiance onirique de l’estuaire du Blackwater, dans le petit village reculé d’Aldwinter, où les croyances anciennes demeurent vivaces, que Cora a décidé de s’implanter. L’atmosphère, toute en brume, en vagues glaciales, en boue, se prête particulièrement à la narration de cette légende effrayante qui donne son nom au roman : le Serpent de l’Essex. Les habitants d’Aldwinter redoutent la présence de ce monstre mythologique et meurtrier, qui serait la cause de toutes les petites misères qu’ils vivent : si le lait tourne, si les poules ne donnent plus d’oeufs, si un enfant disparaît, pas de doute, c’est l’influence néfaste du serpent de l’Essex qui s’exprime !
Seule voix rationnelle dans ce hameau, le pasteur Will Ransome déjoue tous les pronostics de Cora qui s’attendait à un homme bedonnant et moralisateur, épris de vertu et de sermons. Le pasteur est jeune, éduqué, il a de l’esprit, et une famille charmante. Sa femme, Stella, belle et éthérée, est mourante : le lecteur la verra peut à peu basculer dans un délire qui ajoute au mysticisme du lieu. Entre Cora et Will Ransome, c’est tout d’abord une rencontre de l’esprit qui se fait, électrique, toute en confrontations : la femme de la ville et l’homme de la campagne, la femme de sciences et l’homme d’église… Entre eux, la fascination est pourtant évidente, et le lecteur attend de voir à quel moment leur relation, de spirituelle, deviendra charnelle.
Voilà un roman intéressant, qui brosse le portrait réussi d’une femme qui découvre sa liberté d’action et de penser, d’un homme qui voit ses certitudes s’ébranler, et d’une époque en mouvement. On pourrait également évoquer la pléiade de personnages secondaires, tous intéressants : le docteur Garrett, qui se meurt d’amour pour Cora, et se jette à corps perdu dans son ambition professionnelle, Martha, à la conscience sociale aiguë, absolument fascinée par Cora, ou encore Francis, le fils si déroutant de Cora… Il y a beaucoup de choses à dire sur Le Serpent de l’Essex mais nous terminerons simplement en vous en conseillant bien vivement la lecture !
Je lis rarement des romans historique mais je dois avouer que celui-ci me tente beaucoup, surtout pour son portrait de femme. Merci pour cette découverte ! 🙂
C’est dommage : le début est laborieux et il faut persister au delà des 100 premières pages pour que débute enfin l’histoire