PARENTALITÉ — J’étais à la maison, pendant mon congé prénatal, en train de m’arrondir tranquillement, quand je suis tombée par hasard sur un épisode de Friends à la TV. Chandler et Monica étaient en train de préparer leur mariage. Frustrée par la VF et les publicités, j’ai lancé Netflix, et de fil en aiguille, je me suis enfilé la moitié de la série.
Cela faisait près de dix ans que je n’avais pas vu certains épisodes. J’ai ainsi redécouvert toute la grossesse de Rachel. Alors que je m’apprêtais moi-même à devenir mère, je n’ai pas pu m’empêcher de réfléchir aux modèles parentaux dans Friends. Cette série, qui parle principalement du devenir adulte, ne pouvait faire l’impasse sur le sujet. Mais comment en parle-t-elle ?
Bien sûr, cet article comporte de nombreux spoilers sur la série, donc si vous ne la connaissez pas encore, passez votre chemin !
Au commencement : les parents de nos Friends
Les parents des personnages apparaissent presque tous au fil de la série. Qu’ils fassent office de ressort comique ou expliquent par leur comportement certains « travers » de nos amis, ils sont tous intéressants d’une manière ou d’une autre.
Prenons Rachel par exemple : son père est autoritaire et exigeant, et Rachel se construit en opposition contre lui (quand elle refuse d’épouser Barry dans la première saison, quand elle lui apprend qu’elle est enceinte et qu’elle n’épousera pas Ross pour autant). L’opposition semble souvent matrimoniale, d’ailleurs ! Le père de Rachel incarne des valeurs datées, une prison dorée (la petite fille riche à son papa) dont Rachel veut s’émanciper. Les parents de Rachel ne sont pas particulièrement encourageants. Pourtant, Rachel parvient à devenir adulte. La série entière ne parle que de ça.
Du côté de Ross et Monica, les parents Geller choquent par la différence de traitement évidente entre leurs deux enfants. Ross est le fils prodigue, arrivé après des années d’infertilité, et Monica le vilain petit canard à la traîne. Ainsi, quand Chandler fait une blague en proclamant Ross mort sur un réseau social, la mère de Ross, éplorée, doit être rassurée par son fils qui agacé, qui doit lui dire sèchement : « non maman, même si c’était vrai tu ne resterais pas sans enfant. Tu as Monica« . Monica, justement, est très complexée par la situation et Ross en a parfaitement conscience (comme lorsqu’il se rend compte que leurs parents ont sacrifié les cartons des affaires de Monica, et non les siennes, lors de l’inondation de leur garage). Monica a une relation particulièrement difficile avec sa mère, pour qui rien de ce que fait Monica n’est jamais assez bien, Judy Geller étant adepte des petites remarques acerbes et des regards apitoyés. Le père, lui, se contente d’être joyeusement à côté de la plaque. Peut-être est-ce pour ça que Monica fréquente un temps Richard, un ami de ses parents, comme un moyen de montrer qu’aux yeux des gens qui partagent leurs valeurs, elle compte aussi ?
Et que dire de Phœbe ? Sa mère était une dealeuse de drogue et elle s’est suicidée quand Phoebe était adolescente. Pas le meilleur modèle maternel qui soit, on en conviendra. Chandler ne s’en sort pas forcément mieux : sa mère est une « Milf » qui écrit des romans érotiques et drague ses copains, et son père une célèbre drag queen de Vegas qui s’entendent comme chien et chat. Chandler a plus ou moins honte des deux. Chandler a donc grandi dans un foyer peu traditionnel où il servait visiblement d’intermédiaire au sein des disputes entre ses deux parents, on a donc vu mieux comme modèle d’unité parentale.
Enfin, quid de Joey ? Joey parle finalement assez peu de ses parents, probablement parce que c’est le seul pour qui ce n’est pas un problème ! On évoque plus volontiers ses nombreuses soeurs…
Devenir parent soi-même
Ross est le tout premier à sauter le pas, dès la toute première saison : il apprend que son ex femme est enceinte juste après leur rupture. Il est donc en quelque sorte père à mi temps. Ben, son fils, est surtout présent comme ressort comique (quand Joey et Chandler l’oublient dans le bus, quand Rachel lui apprend des blagues…) et finalement assez peu pour des questions éducatives à proprement parler (il y a bien la fois où Ross essaie de lui inculquer quelques notions religieuses, ce qui lui tient visiblement à cœur). Point positif : Friends montre une famille composée de deux mères, Carol et Susan, à une époque où une telle représentation était très rare.
Quelques saisons plus tard, Ross a un deuxième enfant, avec Rachel : Emma est un enfant non désiré mais aimé. C’est en somme un heureux accident, fruit d’une nuit d’amour entre deux personnages qui ont été en couple mais ne le sont plus. L’enfant que Rachel a avec Ross est de fait bien plus présent à l’écran que le jeune Ben. La naissance d’Emma montre à quel point Rachel est capable d’évoluer et de devenir adulte. Son comportement avec sa fille en saison 9 et 10 est tout simplement à l’opposé de ce que la gamine pourrie gâtée et inconséquente de la saison 1 aurait pu faire : Rachel s’énerve quand sa sœur Amy fait percer les oreilles d’Emma, refuse dans un premier temps de l’inscrire à un concours de beauté quand Phoebe le propose, choses qui n’auraient sûrement pas perturbé la Rachel des débuts. La naissance d’Emma force Rachel, qui a déjà bien évolué, à devenir encore plus responsable. Même si au début, ce n’est pas gagné : en témoignent ses idées reçues sur les bébés lors de la baby shower. Avec Emma, les showrunners abordent de plus la difficulté d’être une mère célibataire, de trouver sa place au travail après un arrêt maternité et de reprendre une vie sociale et amoureuse. Du côté de Ross, celui-ci s’impose une nouvelle fois comme le membre expérimenté de la bande : il est déjà père, et sait quoi faire. Grand frère de Monica, il l’est aussi pour l’ensemble de la bande. C’est le plus adulte de tous.
Phoebe fait elle une expérience de la maternité un peu particulière : en portant les triplés de son demi-frère, Phoebe permet à la série d’aborder le sujet de la gestation pour autrui, autre thème en avance pour son temps. Son demi-frère aborde le temps d’un épisode le thème du burn-out parental.
Autre couple emblématique de la série, Monica et Chandler décident d’avoir un enfant : avec ce couple pour qui tout va pour le mieux de prime abord, la série aborde l’infertilité et l’adoption. Cependant, elle ne s’attarde pas trop sur les sentiments que peuvent éprouver l’un ou l’autre en se découvrant inféconds. L’accent est alors mis d’emblée sur l’adoption, la GPA et le don de sperme étant évoqués mais très rapidement écartés. En fait, les raisons de l’infertilité du couple sont assez peu détaillées : Monica a un « environnement inhospitalier » (mais qui permettrait quand même une FIV puisqu’un donneur leur permettrait de concevoir) et Chandler un sperme peu performant. Tout ceci nous donne l’impression d’être écarté bien vite, car on a bien compris que le vrai enjeu, c’est l’adoption. Étonnamment, on ne s’attarde pas sur les réactions éventuelles de l’entourage du couple. Le processus d’adoption fait l’objet d’une sous-intrigue en saison 10. En parvenant à adopter des jumeaux, Chandler et Monica incarnent finalement le parangon de la famille américaine : deux parents, deux enfants, une maison en banlieue… il ne manque que le golden retriever et la réplique miniature du pavillon en guise de boîte aux lettres pour parachever le cliché.
Enfin, quid de Joey ? Joey étant lui même un grand enfant, comment attendre qu’il en ait à lui ? Cependant, quand il apprend qu’une de ses amies est sur le point de devenir une mère célibataire, Joey est prêt à s’avancer et à l’épouser dans un geste chevaleresque un peu daté, mais tellement, tellement Joey.
Devenir adulte, devenir parent ?
La série Friends parle beaucoup du passage à l’âge adulte, c’est même le thème principal : la confrontation entre les idéaux de jeunesse et la vraie vie est le ressort principal de l’intrigue. Après tout, le générique le proclame bien : « So no one told you life was gonna be this way… your job’s a joke, you’re broke, your love life is DOA« . Mais finalement force est de constater que la parentalité, si elle fait l’objet de sous intrigues, reste relativement secondaire par rapport aux relations entre nos amis, à leur vie amoureuse et sociale. Même leur vie professionnelle est plus développée que ça, et pourtant, vu le temps qu’ils passent au Central Perk ou dans le salon de Monica, on se demande bien où ils trouvent le temps d’aller bosser. Cependant, l’éventail de modèles familiaux reste assez impressionnant, surtout pour une série des années 90 et 2000 : on y parle famille homoparentale, parents divorcés, parents célibataires, GPA, adoption, grossesse non désirée, infertilité… À la parentalité globalement déficiente voire nocive des parents de nos Friends s’oppose ainsi la bonne volonté de nos héros. Moralité : il n’y a pas de parents parfaits ou de chemins tout tracés. Comme dans la vraie vie.
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