L’Empire du léopard : colonisation, magie et flintlock fantasy !

FANTASY — Emmanuel Chastellière est un habitué de la fantasy ! Co-fondateur du très célèbre site Elbakin.net (le portail de référence sur la fantasy en France) et traducteur professionnel spécialisé dans le genre, il est également auteur. Après avoir chroniqué Poussière fantôme il y a quelques semaines, Café Powell s’attaque donc aujourd’hui à sa deuxième sortie de 2018, à savoir L’Empire du léopard aux éditions Critic.

1870. Le Coronado, après des années de conflits, a enfin réussi à coloniser les différents royaumes de la péninsule de la Lune d’Or, par delà l’océan. Là-bas, ils espèrent faire main basse sur l’or, l’huile noire et autres richesses. Certains mentionnent également la mythique cité de Tichgu, connue pour abriter la fontaine de Jouvence. Pour ce faire, les colons ont plus ou moins réduit les populations autochtones en esclavage, sous prétexte d’effectuer des grands travaux qui rendront service aux nouveaux propriétaires terriens avides d’argent et de pouvoir. C’est donc sur fond de colonisation que nous allons faire la rencontre de Cérès, une des colonels des armées du Coronado, et de Philomé, le vice-roi en charge de la colonie. Tout deux sont pétris de bonnes intentions : ils essaient au maximum d’éviter un massacre et d’éteindre les tensions qui couvent. En effet, Philomé, si bienveillant soit-il, peine à faire respecter l’ordre et à asseoir son autorité en essayant de contenter tous les partis en présence ; c’est donc à Cérès et à son régiment de limiter la casse. Le vice-roi va d’ailleurs recevoir une bien étrange proposition de la part de l’Empire du léopard, le dernier pays libre de la péninsule…

L’Empire du léopard, Emmanuel Chastellière, Critic

Ce bref résumé ne se veut pas exhaustif et peine à faire honneur à la richesse de l’histoire et à la profondeur des lieux et des personnages. Mais l’intrigue gagne à ne pas être dévoilée plus avant, afin de garder intacts les rebondissements ! Il faut tout d’abord souligner l’extrême originalité de la période et de la géographie choisies. En effet, en fantasy, on a plutôt l’habitude des royaumes moyenâgeux dans des univers avec une culture proche de celle de notre Europe médiévale. Emmanuel Chastellière casse donc les codes avec brio et nous offre des inspirations diverses et variées qui s’associent à merveille pour former cet  amalgame. On y retrouve, entres autres, des influences d’Amérique latine, mais également d’autres destinations subtilement dépeintes entre les lignes, notamment lors du franchissement des montagnes qui entourent l’Empire du léopard.

Le fait de placer l’histoire en 1870 permet également à l’auteur de s’affranchir sans heurts de notre propre histoire de la colonisation par les conquistadors espagnols et offre à son univers l’opportunité d’exister par et pour lui-même. Et c’est brillant ! Le changement de période permet d’ailleurs d’introduire dans le récit des technologies nouvelles par rapport à ce que l’on connaît de la conquête des Amériques et c’est particulièrement novateur : mousquets, armes à poudre, canons et baïonnettes sont donc au coeur de l’action.

En plus de ses multiples casquettes, Emmanuel Chastellière est également diplômé en Histoire et cela se sent ! C’est un vrai plaisir de lecteur que d’arpenter avec lui les colonies et de mieux comprendre les enjeux cachés, à la fois chez les conquérants et chez les autochtones. C’est une belle opportunité que de voir l’Histoire s’écrire au contact des vainqueurs et des vaincus. Cela permet également d’observer les subtilités ainsi que les douleurs inhérentes à ce type de campagne. Avec lui, on découvre la dimension politique de la chose, la volonté d’émancipation des territoires colonisés, l’intégration volontaire de certains habitants, l’assimilation et l’appauvrissement de certaines traditions. C’est passionnant et cela permet de jeter un éclairage nouveau sur les phases de conquête de notre propre Histoire.

Ce roman est donc bel et bien un roman de Flintlock Fantasy (ou fantasy « à mousquets »). Ce genre, actuellement en plein essor notamment chez les anglo-saxons, est caractérisé par l’utilisation des technologies du XIXème siècle et de la Révolution industrielle. Attention cependant à ne pas faire l’amalgame avec le courant steampunk, qui va avoir tendance d’une part à se placer dans un environnement d’inspiration Victorienne, et d’autre part à utiliser des raccourcis rétro-futuristes pour faire progresser la science. Ici, si ce n’est la magie, le degré de technologie utilisé est le même que celui de notre monde à la même époque. En parlant de magie, celle-ci est savamment dosée. Emmanuel Chastellière l’introduit de manière raisonnée, presque légendaire, un peu à la manière de Jean-Laurent Del Socorro dans Royaume de vents et de colère. Mais c’est pour mieux monter en puissance au fur et à mesure du récit !

La première partie du roman est d’ailleurs assez lente et plutôt dense et nécessitera une certaine dose de concentration, mais c’est le revers de la médaille pour avoir un environnement riche, des personnages fouillés et en profondeur. À partir du premier quart, le rythme du récit va globalement crescendo — malgré quelques lenteurs latentes — pour finir en apothéose. C’est donc un bien petit bémol qui s’explique et qui s’excuse facilement.

L’Empire du léopard est une lecture exigeante mais qui en vaut vraiment la peine ! Le récit est savamment maîtrisé, le tout dans un univers original. Cela a en plus le mérite de mettre en lumière un sous-genre de la fantasy encore majoritairement ignoré du grand public. Carton plein pour ce one-shot !

L’Empire du léopard, Emmanuel Chastellière. Critic, avril 2018.

 

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