Magnifica, une sublime ode aux femmes et à la vie

Magnifica, Maria Rosaria Valentini, Éditions Denoël

LIVRE — Le roman, situé dans un petit village italien des Abruzzes dans les années 50, nous conte l’histoire de Magnifica, et avec elle, celle de trois générations de femmes qui l’ont précédée. Sa grand-mère, Eufrasia, brisée par la vie, prisonnière d’un mariage sans amour. Teresina, l’amante de son grand-père, et Ada Maria, sa mère, destinée à une vie tranquille que son amour pour un soldat allemand viendra bousculer à jamais.

Maria Rosaria Valentini donne la part belle aux personnages féminins. Ces trois générations de femmes sont les représentantes de toutes les femmes anonymes de l’Histoire. Celles qu’on ne mentionne jamais, qui élèvent les enfants, tiennent la maison et, par ce rôle auquel on accorde au final peu de crédit, façonnent des peuples entiers. Magnifica est une ode à ces femmes fortes, prisonnières du carcan de la tradition et d’un rôle qu’elles n’ont pas choisi mais qu’elles mènent à bien avec courage. C’est aussi une réflexion sur la maternité, surtout à travers le personnage de Teresina. Cette femme qui n’a jamais été mère, physiquement, mais qui endosse ce rôle avec brio, à la fois pour Ada Maria et pour tous les hommes qu’elle prend comme amants. C’est une mère ambivalente, une mère de substitution, plus présente qu’Eufrasia, la vraie mère d’Ada Maria. Alors qu’Eufrasia était une mère (et une femme) effacée, dont la mort à sublimé l’absence pour en faire une sorte d’ange gardien, Teresina est bien présente pour apporter aide et réconfort à tous ceux qui en ont besoin. Elle est une source d’affection très puissante qui abandonne son corps à ses amants et ouvre son cœur à Ada Maria et sa fille, Magnifica. Teresina est la « mère » idéale, un être généreux et désintéressé qui offre son amour sans rien attendre en retour et trouve le bonheur dans cet abandon d’elle même.

Magnifica est un roman qui porte parfaitement son nom. Plus qu’un roman, c’est une œuvre poétique où l’auteur utilise le langage comme moyen de séduction. Ce n’est pas une coïncidence puisque Maria Rosaria Valentini était poète bien avant de s’essayer à la prose. Elle reconnaît elle-même que l’usage qu’on fait des mots peut les transformer en formules magiques, qu’il faut utiliser le langage comme un art, une sculpture. C’est particulièrement vrai dans Magnifica où les mots se teintent d’une dimension plus profonde. C’est un roman qu’il ne faut pas lire au premier degré. Ne vous fiez pas aux apparences, voyez au-delà de la douleur. Sans cela la mélancolie de Magnifica touche au tragique et la mort semble assombrir l’histoire au point de la rendre sinistre. Pourtant ce n’est pas l’intention de Maria Rosaria Valentini, loin de là. Il faut, d’après elle, lire ce roman avec les « yeux du conte » qui nécessitent d’accepter sans chercher à comprendre. Dans les contes, tout semble normal, même la tragédie, ils sont profondément liés à la notion de destinée et dépendent de cette acceptation.

La mort est le fil de Magnifica, un personnage à part entière. Maria Rosaria Valentini montre que la vie et la mort sont intimement liées et que le fait d’accepter la mort, de s’en approcher plutôt que d’essayer de la tenir à distance, permet de prendre conscience de soi, de mieux comprendre la vie. C’est le rôle de Pietrino, le frère d’Ada Maria. Il s’occupe du cimetière et de ses morts, assume le rôle primordial du passeur. Grâce à lui la mort est plus douce, plus proche, elle entre dans le quotidien, presque comme une vieille amie de la famille. C’est aussi la mort qui sublime l’amour d’Ada Maria et de Benedikt, lui offrant une part d’éternité. La mort, toujours, qui rapproche Ada Maria et son père, à travers la taxidermie. Cette pratique étrange qui cherche à figer la vie qui est en train de partir. En conservant ces animaux et insectes morts, Aniceto et Ada Maria capturent l’instant fugitif, pour toujours, ils cherchent la vie dans la mort. Les papillons, dont l’existence est si éphémère, voient leur beauté devenue éternelle dans un simulacre de vie. Ils sont le symbole de la beauté, de l’émerveillement, leur vie est courte mais intense.

La nature est également un personnage très important du roman. Tantôt accueillante, tantôt dangereuse, elle fait le lien entre les individus, toujours présente, elle accompagne l’accomplissement du destin. Nature et mort, Magnifica peut être vu comme le digne héritiers des poètes romantiques. C’est d’ailleurs à l’un d’eux, John Keats, que Maria Rosaria Valentini dédie l’exergue et la fin de son roman. Elle voulait rendre hommage à ce jeune homme qui a dédié sa courte vie à la recherche de la beauté et de l’harmonie.

En conclusion, on pourrait presque dire que Maria Rosaria Valentini joue à la taxidermiste et cherche à figer dans son roman sa propre force vitale et sensuelle, sa profonde passion pour la vie. Magnifica est un livre dédié à l’attente, à l’absence mais aussi à l’espérance qui est plus forte que tout et se révèle dans la tragédie.

Un sublime roman, une ode à la vie et à l’amour, à ne pas manquer.

Magnifica, Maria Rosaria Valentini. Éditions Denoël, 2018. Traduit par Lise Caillat.

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