COUP DE COEUR — En voilà un beau roman : je vous le dis tout net, j’ai eu un coup de coeur pour ce récit vaste et dense, qui parle d’immigration, de sororité, de famille, de malédiction, de fantôme, de vie, de mort, de sexe, le tout dans l’Italie du début du XXe siècle, puis dans l’Amérique des années 30 à nos jours. Whaouh, tout ça ? Oui, tout ça.
Les sept ou huit mort de Stella Fortuna a une dimension presque « zolienne » tant le roman s’attache à parler de tares familiales qui se perpétuent de génération en génération. Ici, point de Rougon-Macquart mais les Fortuna-Mascaro sont tout aussi passionnants que leurs homologues français. L’histoire commence au tournant du siècle, quand une petite jeune fille du fin fond de la Calabre se retrouve orpheline de père. Que fait une adolescente italienne de quatorze ans quand elle se retrouve seule avec sa mère, sans ressources ? Elle meurt de faim, elle se prostitue ou elle se marie. Assunta choisit de se marier. Pour le meilleur… mais surtout pour le pire.
Personnage romanesque haut en couleur et passionnant, Assunta n’est pourtant pas le protagoniste principal, même si sa vie, faite de deuils, de privations, de déracinements et de beaucoup de larmes, vaut bien le détour. Assunta n’est que la mère de la fameuse Stella Fortuna du titre, ou plutôt des deux Stella Fortuna de l’histoire car oui, Stella n’est pas unique. L’héroïne du roman, à la poisse phénoménale, qui manque de mourir sept ou huit fois (l’une d’elle est considérée comme douteuse par le famille) est en effet la deuxième à porter ce nom. Comme ça a longtemps été la coutume partout en Europe, quand l’aîné(e) d’une famille décède, l’enfant suivant hérite du prénom. Stella Fortuna récupère donc le prénom d’une soeur défunte, et au passage, d’une malédiction qui la suivra toute sa vie.
Le récit est-il fantastique, ou juste empreint par la croyance d’Assunta dans le mauvais oeil ? La narratrice laisse planer le doute, au lecteur de se faire son idée. Quoi qu’il en soit, la vie de Stella ne sera pas vraiment heureuse. Née à la mauvaise époque (1920), trop libre et indépendante pour son bien, Stella sera brisée par une vie dont elle perd peu à peu le contrôle. C’est terrible à observer. D’un village pauvre et arriéré de Calabre dans les années 20 et 30, au Connecticut des années de guerre puis des décennies qui suivirent, Stella tente coûte que coûte de survivre, malgré les épreuves, les deuils, et son petit fantôme rancunier qui cherche à lui faire la peau.
Oh, quel récit sans concession, qui dresse un portrait terrible de la féminité et de la maternité de ces femmes prisonnières des hommes, ici souvent violents, alcooliques, pervers, ou en tout cas peu fiables pour la plupart ! Même ceux considérés comme « gentils » peuvent être capables de bien des horreurs. Les femmes Fortuna luttent en permanence et l’unité familiale est bien difficile à maintenir. Au coeur du récit, la relation entre Stella et sa soeur Tina sert de fil rouge au récit. En effet, quand la narratrice entreprend de conter l’histoire de Stella, c’est à travers les souvenirs de Tina qu’elle puisse les éléments constitutifs de son récit. Presque centenaires, les deux soeurs sont en froid depuis 30 ans. Pourquoi donc ? Le roman tout entier est une réponse à cette question.
Stella frôle la mort de nombreuses fois, victime d’accidents troublants, mais vivra finalement très âgée. Témoin d’un siècle riche en bouleversements, elle en vivra chacun des rebondissements : son père part à la grande guerre, son frère à la seconde guerre mondiale, son fils au Vietnam… Les amateurs de romans historiques seront ravis !
À lire si vous aimez les grandes sagas familiales, les récits d’immigration aux États-Unis, le tout avec une pointe de fantastique… Un roman qui n’est pas sans rappeler Maria Vittoria, en plus ambitieux et en plus prenant !
Ce n’est pas trop mon style habituel mais J’avoue que c’est intriguant !