TERREUR — Premier roman étonnamment maîtrisé, qui se veut comme un hommage au genre horrifique, L’Horreur de Kill Creek est une sacrée bonne surprise : le récit allie un ambiance cinématographique d’une redoutable efficacité à un style simple et plaisant. On ne s’ennuie pas une seule seconde. Et on frissonne indéniablement !
L’hommage au genre horrifique commence dès le pitch de départ : quatre écrivains spécialisés en la matière sont conviés pour une interview filmée dans une maison hantée dans le Kansas. Ce n’est pas sans rappeler le roman de Shirley Jackson, de prime abord, et le fait d’instaurer quatre auteurs de romans d’horreur comme personnages principaux permet au roman d’aborder une vaste palette de sous-genres. Par la suite… si je vous dis : un lieu hanté qui rend les auteurs fous, des jumelles flippantes, une ligne qui s’écrit toute seule et en boucle sur un manuscrit et un plan effrayant pendant lequel un auteur frappadingue essaie de défoncer un mur à la hachette pour tuer quelqu’un (oui, nous pensons tous au « Wendy… » susurré par un Jack Nicholson hystérique), vous me dites ? Bingo ! Les références à Shining ne sont pas vraiment discrètes, mais on y voit bien volontiers un bel hommage.
Le personnage de Sebastian Cole, un des quatre auteurs, n’est pas sans rappeler Stephen King par ailleurs : relativement âgé, pourvu d’une carrière impressionnante et considéré comme le maître de l’horreur, Sebastian Cole est aussi connu comme un écrivain « de la nostalgie ». N’en dites pas plus, on tient-là le jumeau de papier de Stephen King. Au casting, rajoutez une autrice d’horreur trash, un écrivain spécialisé dans la fiction ado effrayante et le personnage principal, qui transforme les petites villes du Midwest sans histoires en récits à vous donner la chair de poule. Imaginez ces quatre-là enfermés dans une maison hantée pour la nuit, face à un jeune magnat du web ambitieux qui rêve de faire le buzz sur le profil de ses invités. On ne peut s’empêcher de se demander ce que ça donnerait IRL : imaginez un peu si on réunissait Stephen King, Poppy Z. Brite, R. L. Stine et Clive Barker pour une interview d’anthologie dans un lieu réputé hanté ? Je ne sais pas vous, mais moi, je voudrais voir ça.
Mais ce roman ne se résume pas à son pitch accrocheur et à ses personnages tous pourvus de leurs propres traumas, et joliment denses : Scott Thomas est visiblement quelqu’un qui connaît bien le genre et il livre en ces pages une réflexion toujours très pertinente. En témoignent les réponses passionnantes de ses personnages à la question « qu’est-ce que l’horreur ? » ou les paragraphes qui s’attachent à répondre à la délicate interrogation des personnages : « comment un lieu en vient-il à être hanté ? », avec toute l’importance de l’imagination collective. On aime également l’incipit du roman, qui se présente sous la forme d’un cours magistral donné par un des auteurs sur l’écriture horrifique. Je me serai bien glissée dans l’amphi avec les étudiants pour écouter ce qu’il avait à dire ! Enfin, la fin clôture le roman de manière magistrale.
C’est une histoire de maison hantée d’autant plus effrayante que les spectres ne se cantonnent pas aux murs de la bâtisse : après cette nuit passée dans cette demeure étrange, les personnages en sortent bel et bien hantés. Leur chemin les ramènera forcément à Kill Creek. L’horreur n’en est que plus palpable. L’auteur dépeint même une horreur réaliste et historique, avec le lynchage à connotation raciste des deux premiers propriétaires de la maison, sur fond de guerre de Sécession.
Scott Thomas a un petit quelque chose de Stephen King : je ne serais pas étonnée d’apprendre qu’il compte parmi ses fervents admirateurs. Mais bel exploit : il a réussi à s’affranchir de l’influence du maître pour développer sa propre patte. S’il existe une liste de tous les éléments à cocher pour faire un très bon roman d’horreur, Scott Thomas se montre bon élève et les a tous intégrés à son récit : c’est peut-être un poil académique, mais ça fonctionne à fond les ballons.
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