LOUISIANE — La Louisiane, cet état du sud des États-Unis, évoque trois choses au lecteur : les vampires d’Anne Rice, son passé français et l’horreur de l’esclavage dans les plantations. Dans le roman de Lisa Wingate Les Chemins de la liberté, il n’y a pas de buveurs de sang, et la Louisiane est depuis longtemps américaine : mais l’esclavage, lui, est encore au coeur de toutes les pensées.
Le récit alterne entre deux temporalités : 1875 et 1987. Tout un monde sépare à priori ces deux dates. Mais le poids du passé reste écrasant en 1987…
En 1875, la guerre de Sécession est terminée depuis dix ans, et les esclaves ont tous été libérés. Cependant, la vie reste très difficile : beaucoup continuent à travailler pour leurs anciens maîtres, faute de meilleures opportunités, et des organisations racistes et meurtrières comme le Klan ont fait leur apparition. En plus de cela, beaucoup de familles ont été séparées pendant le conflit, mais aussi et surtout avant, au fil du caprice de leurs maîtres et des ventes d’esclaves. Hannie est une toute jeune femme née esclave. Pendant la guerre, le neveu de son vieux maître a vendu précipitamment toute sa famille. Elle rêve de les retrouver. Malgré elle, elle se retrouve à cheminer avec Lavinia, la fille de la maison, et Juneau Jane, enfant illégitime du maître, à la recherche de celui-ci…
En 1987, Mademoiselle Silva est une jeune enseignante idéaliste qui vient de débarquer à Augustine, Louisiane. Elle se heurte à des classes bruyantes et dissipées, peuplées d’élèves affamés et abandonnés de tous. Quand elle découvre une vieille demeure désertée remplie de livres, elle décide de monter un projet pour changer les choses.
Roman historique s’attachant à décrire l’après-guerre civile, Les Chemins de la liberté montre la fuite en avant de trois personnages que tout oppose, dans un monde résolument hostile et rongé par le ressentiment et le racisme. Oui, la guerre est finie mais bon nombre de sudistes ne l’entendent pas de cette manière. Hannie a beau être désormais libre, le danger reste omniprésent. Avec ses deux compagnes d’infortune, elle se lance dans un voyage très périlleux et riche en rebondissements. Au-delà de l’action menée tambour battant, l’autrice s’attache à décrire la réalité de ces esclaves fréquemment séparés de leurs proches, qui, après la guerre, ont essayé de les retrouver. Dans le roman, ça se manifeste par des avis publiés dans un journal local, qui étaient lus publiquement par le pasteur des différentes paroisses. Le récit est émaillé de nombreuses lettres de personnes cherchant leur famille. C’est bien évidemment très émouvant, d’autant qu’absolument authentique.
C’est quelque chose qui va fortement influencer Benny Silva, la jeune enseignante des années 80. Alors qu’elle cherche sa place dans la communauté d’Augustine, et qu’elle cherche quoi faire de ses élèves récalcitrants, elle prend conscience que beaucoup d’entre eux, noirs comme blancs, ont un lien avec la plantation possédée par la famille Gossett. Elle retrouve notamment le registre d’achats et de ventes de la plantation, et met au jour un cimetière oublié. Il n’en faut pas plus pour qu’un projet scolaire de grande envergure voie le jour ! Mais même cent vingt ans après la fin de la guerre, l’esclavage et le conflit restent une plaie ouverte dans les esprits de tous… Et on n’exhume pas le passé sans conséquences…
Récit extrêmement touchant et bien documenté, qui explore une facette méconnue de l’histoire du sud des États-Unis (car, si nombreux sont les romans à parler de l’esclavage, ou de la guerre de Sécession, peu se sont emparés de l’après immédiat), Les Chemins de la liberté est un livre très humain, qui plaira à toutes les férus de littérature américaine, ainsi qu’aux passionnés d’histoire.
Les Chemins de la liberté, Lisa Wingate. Les escales, 11 mars 2021. Traduit de l’anglais par Oscar Perrin.
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