MASSACHUSETTS — En 1675, la vie des Anglais dans les colonies américaines est frugale et pieuse. La religion est alors le socle de la société et, en tant qu’épouse de pasteur, Mary Rowlandson sait qu’elle doit être tout particulièrement exemplaire. Elle mène son foyer avec rigueur, veille sur ses trois enfants et obéit en tout point à son mari Joseph. Ou presque.
À quoi peut-on s’attendre en ouvrant ce roman, qui raconte la captivité chez les Indiens d’une Anglaise puritaine au XVIIe siècle ? Au début, on a un peu peur que le récit vire à la romance impossible entre deux êtres que tout oppose. Mais soyez rassurés : c’est en réalité un roman historique d’excellente facture, doublé d’un beau portrait de femme en plein doute et en pleine crise religieuse.
Car chez Mary couve déjà, avant même sa captivité par les Indiens, un vent de révolte. Elle a le sentiment, déjà, que la fermeté des préceptes puritains sont en contradiction avec le message d’amour que porte la Bible.
À ses côtés, vous apprendrez quel était le rôle et le quotidien d’une femme puritaine en 1675. Vous saurez ainsi qu’elle peut être sévèrement punie si elle blasphème avec mise au pilori et tutti quanti, et que les motifs de blasphème sont nombreux et faciles à trouver. Aimer trop ses enfants par exemple. Drôle de voir cette femme du XVIIe siècle pressentir que la parentalité positive est une voie plus saine pour élever ses enfants ! Quant au reste… Nathaniel Hawthorne en avait déjà démontré la cruauté et la sévérité dans La Lettre écarlate : les femmes déchues sont punies physiquement pour avoir amené le péché sur l’ensemble de la communauté, on leur enlève leur enfant, etc… Bref, une période fort charmante ! Dans ces conditions, on comprend tout à fait que Mary préfère vivre avec les Indiens.
Bien sûr, au début, ce n’est pas le cas. L’autrice dépeint en effet des scènes d’une grande violence. Le village anglais est attaqué, certains de ses membres sont sauvagement assassinés. Certaines scènes hanteront longtemps le lecteur. Vivre chez les Indiens est difficile. La faim, le froid, l’épuisement et la mort font partie du quotidien. Pourtant, Mary ressent une profonde fascination pour ce peuple si libre…
En découle une profonde remise en question du mode de vie puritain, dont les graines ont été plantées le jour où Mary a aidé une jeune fille à accoucher, une jeune fille en état de péché et mise en conséquent au ban de la société. Mary traverse alors une crise de foi, ne parvenant plus à prier, remettant en question l’interprétation de la Bible qu’en fait Joseph, son mari. Ainsi, comment Dieu peut-il valider l’horreur de l’esclavage ? Joseph estime ainsi que Dieu cautionne les massacres d’Indiens. Il a une vision bien pratique de la volonté divine, qui correspond en fait aux désirs de l’homme blanc. Mary saura discerner l’hypocrisie de ce discours et s’élèvera, dans la mesure de ses moyens, contre ces horreurs.
C’est un très bon roman historique, donc, avec beaucoup d’introspection et de réflexion sur l’identité puritaine. L’autrice parvient à nous entraîner sur des chemins inattendus, et à éviter l’écueil de la romance sauvage et sexualisée entre l’héroïne et un bel Indien. Même s’il y a bel et bien des sentiments en jeu, l’autrice en livre une vision très juste et toute en retenue, finalement très réaliste. Ça n’en est que plus frappant pour le lecteur, qui dévore l’histoire de Mary avec férocité, et une profonde nostalgie, car, tout violents qu’ils apparaissent dans le roman, les Indiens sont aussi décrits pour dignes et passionnants, et la disparition de leur mode de vie reste à ce jour une honte indélébile dans l’histoire des États-Unis.
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