Anne Rice : adieu et merci !

Anne Rice

HOMMAGE — Si on me demande de citer trois auteurs emblématiques de La Nouvelle Orléans, en Louisiane, je vous citerai dans l’ordre : Anne Rice, John Kennedy Toole et Poppy Z. Brite. Le premier nom me viendra spontanément, immédiatement. Il y a presque dix ans, j’ai décidé de visiter La Nouvelle Orléans presque entièrement grâce à elle : j’avais envie de voir le terrain de jeu de ses personnages, cette ville fertile qui l’a tant inspirée, qui sourd tellement des pages de ses romans. En promenade hors du Vieux Carré, dans le Garden District, j’ai découvert une maison ornée d’une plaque commémorative : c’est là qu’Anne Rice a vécu de nombreuses années, avant de s’en aller pour l’ouest. Puis de s’en aller tout court, comme nous l’avons appris avec tristesse le week-end dernier.

Ma rencontre littéraire avec Anne Rice date d’il y a quinze ans, au moment où j’étais jeune, passionnée et profondément influençable. Ma rencontre avec son oeuvre, c’était un peu un coup de foudre : son écriture presque poétique, la profondeur des thèmes abordés, l’obsession du temps qui passe, de la transgression, les personnages charismatiques et torturés, une bonne dose de décadence et d’interdits : tout était réuni dans un roman, et ce roman c’était Entretien avec un vampire. Ce fut une révélation : à l’époque, je noircissais des documents word à la gloire de Lestat, je m’essayais moi-aussi à l’écriture de fiction autour du personnage du vampire. La seule, l’unique incursion dans le monde de la fanfiction que j’ai jamais faite, c’était dans l’oeuvre d’Anne Rice, avant d’apprendre qu’elle ne cautionnait pas cette forme d’hommage. Dommage.

Anne Rice a laissé un immense héritage pour des générations de lecteurs, depuis la parution en 1976 de l’iconique Entretien avec un vampire. Forgé dans le deuil et la douleur, quasi thérapeutique, ce roman brille par sa construction en forme d’interview journalistique, de long monologue déprimé mais brillant, porté à l’écran par Neil Jordan en 1994. La légende veut qu’Anne Rice était vertement opposée à ce que Tom Cruise incarne son Lestat, mais qu’après avoir vu son travail, elle se soit platement excusée auprès de l’acteur. Le film est joyeusement décadent, porté par un casting cinq étoiles (bien que l’on s’interroge toujours sur le choix d’acteur pour Armand, adolescent androgyne incarné par Antonio Banderas) mais il n’arrive pas à la cheville de la force du roman. Lui-même est moins bon que le suivant, paru presque dix ans plus tard : Lestat le vampire s’attachait alors à détailler le passé du personnage éponyme, de son enfance au fin fond des campagnes françaises pendant l’Ancien Régime à son ascension improbable mais jouissive au rang de rock star dans les années 1980. Dans la foulée, j’ai découvert La Reine des damnés, qui creusait avec brio la mythologie des vampires, et lui donnait corps et âme. Si on se penche sur les vampires de fiction, il y a indéniablement un avant et un après Anne Rice : elle a méchamment dépoussiéré le mythe. C’est grâce à elle qu’ont fleuri d’autres romans vaguement provocateurs (on songe par exemple à Âmes perdues), qui ont contribué à leur tour à cette image à la fois sensuelle et dangereuse du vampire tel qu’on le connaît aujourd’hui. Puis, il y a eu Stephenie Meyer, mais ça c’est encore autre chose…

Anne Rice n’a pas écrit que sur les vampires, elle s’est aussi essayée à la fiction autour des sorcières, des loup-garous, des anges, à l’érotisme, à la religion. Je n’ai pas tout lu, et c’est quelque part un réconfort que de savoir que bien qu’elle ne soit plus là, il me reste de nombreux écrits signés de sa plume à découvrir. Je n’ai hélas pas eu l’occasion de la rencontrer en vrai mais je lui ai écrit une fois, et elle avait eu la gentillesse de me répondre. Aujourd’hui, je suis triste de la savoir partie à jamais. Elle faisait partie du panthéon de mes auteurs préférés, et c’est toujours un déchirement de les voir s’en aller. Adieu, Anne, et merci pour tout !

A propos Emily Costecalde 1154 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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