ROMAN HISTORIQUE — D’Edward Carey, nous avions déjà lu Le Château, et nous connaissions donc déjà le goût pour le gothique et l’étrange : l’histoire de la célèbre Madame Tussaud, dont le musée à Londres est l’équivalent britannique de notre musée Grévin, ne pouvait que lui plaire…
Le nom de ce célèbre musée qui expose des personnalités du monde entier reproduites dans la cire, vous le connaissez tous. Mais qui était la femme derrière ce projet ? Edward Carey s’applique à décrire sa genèse, son récit s’arrêtant au moment de son départ pour Londres où elle ouvrira le fameux musée à son nom. Il faut dire qu’avec la première partie de la vie de cette femme, née dans l’Est de la France, il y a fort à faire déjà. Née Anne-Marie Grosholtz dans les années 1760, elle sera plus tard prise dans les tourments de la Révolution où son métier l’amènera aux portes de la guillotine. Le lecteur découvre son enfance tragique, son adolescence sinistre, sa découverte du travail de la cire. Et sa vie sous la Révolution française, donc.
Quand j’étais gamine, je me souviens que quand on enseignait cette période trouble de l’histoire française, nous étions tous fascinés. La violence, la prise de la Bastille, les têtes coupées, ça semblait follement romanesque à l’enfant de dix ans que j’étais alors. La Révolution, en fiction, est souvent romancée, voire romantisée. Après tout, on en a même fait une comédie musicale ! Je vous le dis tout net, Edward Carey a plutôt choisi de montrer le côté brut et sauvage de l’Histoire : le sang, la mort, la peur, la haine… Dans le roman d’Edward Carey, la Révolution sert de révélateur aux pires penchants de l’humanité (incarnés par André Valentin, par exemple, qui, de petite brute et de voleur, se hissera dans la société à la faveur de ces temps troublés). L’atmosphère du roman tout entier est à l’aune de l’ambiance qui règne entre ces pages lors de la partie révolutionnaire : glauque, sinistre, vaguement déprimante. Le XVIIIe siècle a peut-être été celui des Lumières et on le regarde aujourd’hui avec affection et bienveillance, mais c’était aussi une période sombre, où on allait observer des exécutions publiques en famille, où un rien pouvait vous précipiter à la rue, où l’on mourrait de tout et de rien, où on observait en nombre les reines en train d’accoucher au risque de les faire succomber d’un malaise. Quant à la Révolution ? N’en parlons même pas ! Certaines scènes font frémir, et rappellent certaines des plus trash du roman Les Talons rouges, consacré à la même période : les têtes sur leur pic (dessin à l’appui !), les massacres sanglants exacerbés par la psychologie des foules qui, en transe, sont subitement capables des pires atrocités… Oui, charmante Révolution que voilà…
La vie de Marie est triste, avouons-le tout net : marqué par le deuil dès sa plus tendre enfance, par l’incertitude, par un manque crucial d’amour et de reconnaissance. À ne pas lire si vous n’avez pas le moral car des épreuves, la future Madame Tussaud va en subir un bon paquet !
Au-delà de l’aspect résolument sinistre de l’intrigue, c’est tout bonnement passionnant : porté par le style efficace d’Edward Carey et émaillé de ses illustrations, le récit nous entraîne avec beaucoup d’aisance dans la vie de cette femme d’exception. La peinture de l’époque est, on l’a vu, particulièrement remarquable : on s’y croirait (et comme je vous l’ai dit, on n’a pas trop envie de s’y croire…). Tout est méticuleusement documenté, et Edward Carey s’approprie avec brio notre Histoire, ne tombant pas dans les écueils habituels des anglo-saxons qui veulent écrire sur la France et tombent dans les clichés…
Si vous avez aimé ce livre, vous aimerez sûrement également L’Arracheuse de dents !
(Ironie des choses : alors que je termine cette chronique, mon compte Deezer commence à jouer Ça ira, mon amour de la fameuse comédie musicale sur la Révolution française…)
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