FANTASY HISTORIQUE — De Claire North, on a parlé en début d’année de 84K, un thriller dystopique glaçant. Ce printemps la voit revenir avec un projet complètement différent puisque Pénélope, reine d’Ithaque, premier tome de la trilogie La Chant des Déesses, relève plutôt de la fantasy historique !
Le roi Ulysse est parti depuis de nombreuses années en guerre contre Troie, emmenant tous les hommes en âge de combattre de l’île d’Ithaque. Pénélope, sa femme, l’attend avec patience et dirige le royaume. Mais lorsque des rumeurs circulent sur la mort de son mari, les prétendants commencent à frapper à sa porte. Or, aucun homme n’est assez puissant pour revendiquer le trône vide d’Ulysse. Si Pénélope choisit l’un d’entre eux, Ithaque plongera dans une guerre civile sanglante. Seule la ruse et son réseau d’espionnes lui permettront de maintenir l’équilibre délicat du pouvoir nécessaire à la survie du royaume. À Ithaque, tout le monde surveille tout le monde et il n’y a pas un coin du palais où l’intrigue ne règne pas en maître. A Ithaque, les caprices des dieux ont dicté l’ordre des choses. Mais sur l’île, ce sont les choix des femmes abandonnées – et de leurs déesses – qui changeront le cours du monde.
Première surprise en ouvrant le roman : l’histoire est bien celle de Pénélope, mais la narratrice en est en fait la déesse Héra.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’Héra est une femme désabusée, usant d’un ton froid, n’hésitant pas à usiter d’expressions très familières (voire grossières !), pour découvrir les événements en cours. C’est dépaysant, mais cela dépoussière nettement les mythes antiques !
De fait, cet éclairage extérieur permet à la narratrice de suivre des personnages très différents. Si Pénélope est au centre du récit, Héra tourne aussi son regard vers les suivantes, les servantes, les femmes qui survivent sur l’île, sur la reine et cousine Clytemnestre de Sparte, sur Electre, qui débarque à la poursuite de sa régicide de mère. Aucune n’est oubliée, et l’autrice parvient à donner corps à chacun de ses personnages, assurant la réécriture de ce versant du mythe de Troie, d’un point de vue – presque – exclusivement féminin.
Eh oui, car Ithaque abrite encore quelques hommes, parmi lesquels le conseil qui gouverne officiellement, Télémaque, le fils d’Ulysse et surtout… la grosse centaine de prétendants, qui n’attend qu’une chose : que Pénélope fasse un choix. Or, ce choix est aussi celui de la guerre, guerre que ne peut supporter un tout petit royaume comme Ithaque, sans moyens, ce qui explique aussi les atermoiements de Pénélope.
Le récit est très complet et balaie aussi bien la guerre de Troie, que les conséquences sur cette partie de la Méditerranée : des implications diplomatiques aux conflits larvés, en passant par les petites magouilles des uns et des autres qui tentent d’en profiter, tout y passe.
Surtout, Claire North bâtit un récit très réaliste. Bien que la narratrice soit Héra, le merveilleux est quasiment absent du texte. L’autrice montre plutôt comment Pénélope s’est appuyée sur les femmes de son entourage, un réseau d’espionnes bâti patiemment, et sur les maigres ressources dont elle disposait. L’histoire n’a retenu que le nom d’Ulysse, occupé à baguenauder avec ses petits camarades en Méditerranée, multipliant les aventures amoureuses alors que, pendant ce temps-là, Pénélope préservait son royaume de la guerre ou de l’annexion, avec le peu de moyens à bord.
Ce premier tome de trilogie revisitant la mythologie antique s’avère donc très convaincant. L’autrice y dresse des portraits de femmes très réussis, sans oublier de rendre son récit très prenant, par le jeu de péripéties et retournements de situation parfaitement agencés. Le ton froid, distancié et très moderne de la narratrice dépoussière habilement le mythe. Cette entrée en matière est un gros coup de coeur, et on attend impatiemment la suite !
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