ROMAN POLICIER — Nous vous parlions il y a quelques mois de Cinq heures vingt-cinq, un roman signé Agatha Christie. Sur cette lancée, les éditions du Masque continuent tranquillement la réédition des textes de la Reine du Crime britannique et nous permettent de redécouvrir d’autres titres parfois un peu oubliés, ou tout du moins éclipsés, par les best-sellers de l’auteure, que l’on ne présente plus. L’Heure zéro est donc une chouette découverte et mérite que l’on s’attarde sur lui, même si Miss Marple et Hercule Poirot ne font pas partie de ses protagonistes (encore que !).
Neville Strange a eu une bien drôle d’idée ! Le jeune homme, sportif émérite, a en effet décidé de faire fi des convenances et de réunir son épouse Kay et son ex-femme Audrey lors de leurs vacances, afin que celles-ci puissent sympathiser. La rencontre aura donc lieu à La Pointe aux Mouettes, la magnifique villa à flanc de falaise de Lady Tressilian, la tante de Neville. Celle-ci accueillera d’ailleurs d’autres visiteurs, comme Mr Treves, un avocat retraité, et Thomas, un ami d’enfance de Neville et Audrey. Mais très vite, l’ambiance va être à couteaux tirés entre les différents personnages : crises de jalousie, amours inavouées et rancœurs en tous genres sont au programme. Les disputes vont crescendo et se terminent en point d’orgue par le pire … un meurtre !
« Le meurtre n’est jamais que la fin. L’histoire débute bien avant ça – des années plus tôt parfois – avec les mille et unes causes et la longue suite d’événements qui font que des individus donnés sont présents un jour donné, à une heure donnée, dans un endroit donné. […] Tous ont convergé vers un point donné dans l’espace et le temps… Et le moment venu, hop ! le couvercle a sauté. L’heure zéro… Oui, tous autant qu’ils sont, ils ont convergé vers l’heure zéro… »— M. Treves.
Cet extrait, attribué dès le début du roman à M. Treves, un vieil avocat à la retraite, va être le fil conducteur de ce roman. On observe donc avec intérêt la suite d’événements qui va mener, assez tardivement, au meurtre. Celui-ci ne prend place que dans la seconde moitié du roman, ce qui est assez rare dans les romans d’Agatha Christie. On a donc le temps de voir l’ambiance changer, les relations se tendre et l’angoisse monter. La Reine du crime dévoile donc son jeu dès le prologue en distillant avec subtilités des indices qu’il n’appartient qu’au lecteur de saisir, ce qui ne l’empêchera pas de le mener en bateau !
Ce fameux prologue est pour le moins original par rapport au style d’Agatha Christie : elle a en effet volontairement choisi de commencer son récit à la façon d’un roman choral. D’une manière chronologique (et ce quelques mois avant l’intrigue principale), elle nous présente des moments de vie de plusieurs personnages, de manière a priori incohérente et aléatoire. Ces instants volés prendront par contre tout leur sens au fur et à mesure du roman. Cette approche concède du dynamisme au récit, ce qui est fort appréciable. Agatha Christie est en effet plutôt connue pour mettre en place l’ambiance et les personnages de ses romans avec une certaine forme de lenteur et une atmosphère toute particulière. C’est donc, dans ce prologue, au lecteur d’établir les liens — quand il le pourra — entre les personnages !
Puis on repart sur un schéma narratif plus classique pour Agatha Christie, à savoir mise en place du récit avec la présentation du lieu et des personnages, le fameux meurtre, puis l’enquête et la résolution (la plus tardive possible) du crime, après quelques fausses pistes et rebondissements. Cette deuxième partie du récit permet d’ailleurs à l’auteure d’explorer plusieurs thèmes qui font sans doute écho à sa vie personnelle. Elle y parle notamment du divorce et du remariage, que ce soit du point de vue — moderne pour l’époque — de Neville, Kay et Audrey qui forment le triangle amoureux du roman, ou du point de vue plutôt conservateur de Lady Tressilian. Celle-ci fait d’ailleurs preuve de beaucoup d’indulgence envers Neville et a tendance à jeter Kay en pâture, comme si la femme seule était responsable de la situation. Agatha Christie rappelle donc avec subtilité qu’il y a souvent bien plus qu’une vérité unique dans ce genre d’histoire …
Une atmosphère délicieusement oppressante, des thèmes modernes et un dénouement inattendu que l’on serait bien en peine de résoudre en intégralité sans la plume de l’auteure : L’Heure zéro est une très bonne surprise et mériterait sans doute d’être plus connu !
Soyez le premier à commenter