BIOGRAPHIE ROMANCÉE — Professeur le jour et artiste la nuit, Fred DuPouy met aujourd’hui en lumière le destin somme toute bien amer des sœurs Dionne, qui sont les premières quintuplées connues à avoir survécu. Et c’est plutôt scandalisant !
Nous sommes au Canada, en mai 1934, dans une petite province un peu à l’écart de Toronto. Elzire Dionne s’apprête à donner naissance à des jumeaux, mais quelle n’est pas la surprise des sages-femmes et du médecin venu prêter main forte de découvrir non pas 2 mais 5 minuscules fillettes d’à peine 900 grammes chacune ! C’est une première mondiale puisque jusque là, aucune grossesse quintuple n’avait jamais été officiellement menée jusqu’à son terme. La vie s’organise donc autour d’Yvonne, Annette, Cécile, Marie et Émilie et bouscule tout le quotidien de la famille Dionne. Déboussolé et désespéré de ne pouvoir subvenir aux besoins de sa famille et des jumelles qui ont besoin de matériel pour assurer leur survie, le père de famille finit par signer un contrat où il accepte d’exhiber ses filles lors d’une exposition en échange de la mise à disposition de couveuses. Il se rend compte de son erreur et se rétracte presqu’aussitôt. Mais le mal est fait et les médias s’emparent de l’affaire en dénonçant une famille indigne et cupide. L’État canadien finit par se saisir de l’affaire, place les fillettes sous tutelle et démet les parents de leurs droits. On finit par construire une pouponnière en face de leur maison natale afin que les petites puissent officiellement grandir sereinement, sous la surveillance d’une équipe médicale dédiée et à l’abri des voyeurs. C’est alors que l’engouement du grand public commence et qu’un engrenage des plus lucratifs se met en place à travers la visite de Quintland (littéralement, le pays des quintuplées). Quintland a tout d’un parc de loisirs. Les touristes s’y bousculent, on s’y rend en famille ou lors d’une excursion scolaire, plusieurs visites par jour sont organisées. Mais à Quintland, vous ne trouverez qu’une seule et unique attraction. Ce sont cinq petites filles que l’on peut regarder vivre derrière une vitre sans tain. Cinq petites filles isolées, surmédiatisées, éloignées de leurs parents.
Ce livre est un sacré bon prétexte pour s’interroger sur la nature humaine ! Sous couvert de bonnes intentions, on observe avec effarement le médecin de famille mettre en place ce parc d’attraction autour des fillettes, car le grand public les réclame. Elles sont donc arrachées à leur famille et grandissent dans une cage de verre pour distraire les gens. Si ce n’était pas assez révoltant, on leur refuse également leur propre individualité : les gens viennent voir des quintuplées, cinq exemplaires, cinq version d’une seule et même personne. Pour que les spectateurs ne soient pas déçus, on essaie donc tant bien que mal de gommer ce qui fait de chacune une personne à part entière. Ce qui est différent, extraordinaire, a toujours fasciné …
Ce qui est également intéressant, c’est le mélange des genres. Au début du récit, on a clairement affaire à une biographie, même si, comme l’auteur le souligne, la vérité est souvent mise à mal dès le départ dans une histoire aussi médiatisée. On sent qu’il y a eu un vrai travail d’investigation afin de retranscrire au mieux les événements, d’un point de vue objectif. L’histoire bascule peu à peu dans le roman quand on rencontre les personnages inventés d’Edith et Alice. Écolières au début du livre, elles découvrent l’existence des quintuplées en même temps que le monde et leur histoire les fascine, surtout Alice. Et c’est à ces deux personnages féminins forts que le lecteur va sans aucun doute finir par s’attacher. En avance sur leur temps, Alice et Edith cherchent, chacune à leur manière à faire bouger les choses. À travers elles, l’auteur amène une note d’optimisme et d’espoir qui aurait fait défaut sans cela, tant l’histoire des sœurs Dionne peut s’avérer amère parfois.
L’histoire méconnue des sœurs Dionne s’est donc révélée aussi triste que fascinante. N’hésitez pas à la découvrir à travers ce roman jeunesse qui se lit d’une traite. Bien documenté, bien écrit : difficile de lâcher sa lecture. On veut comprendre comment cet engrenage a pu se mettre en place et comment va se dérouler la vie des cinq fillettes. Une bonne surprise, donc !
Si jamais cela t’intéresse, j’ai écrit un article il y a peu sur mon site, à propos des soeurs Dionne 😉