FANTASY — À Césarine, il ne fait pas bon d’être une sorcière. On brûle les sorcières. Il ne fait pas bon d’être une femme. On risque de vous accuser d’être une sorcière. Vous connaissez la suite.
Louise est une « dame blanche » : c’est une jeune sorcière, mais elle a enfoui sa magie tout au fond d’elle et vit dans les rues de Césarine de vols et de trafics illégaux. Arrivée dans la ville il y a deux ans, elle fui désespérément son passé et tâche de profiter du présent en évitant les Chasseurs, ces fanatiques religieux dont la mission est de traquer et de tuer les sorcières. Mais voilà qu’un coup du sort contraint Louise à épouser l’un d’entre eux, prénommé Reid… A-t-on déjà vu couple plus mal assorti ? L’un et l’autre pourrait pourtant bien apprendre de cette cohabitation forcée…
Le roman de Shelby Mahurin oppose la magie à la religion, le féminisme au patriarcat : le monde est cependant moins manichéen que le résumé le laisse deviner. Oui, les Chasseurs ne valent pas beaucoup mieux que l’Inquisition espagnole. Mais certaines sorcières sont des monstres. Et certains Chasseurs peuvent être ouverts d’esprit. En plus d’être terriblement séduisants… La romance se devine dès le résumé, bien entendu, et on pourrait s’étonner qu’une jeune fille rejette violemment un homme qui représente une association de meurtriers de femmes, qui est, en début de roman, la rigueur religieuse incarnée. Louise tombe pourtant amoureuse en connaissance de cause, en sachant pertinemment bien que son cher et tendre pourrait la condamner au bûcher (charmant), sans compter son côté possessif, rigide et jaloux. Reid, lui, ignore tout du passé de sa belle… Comment réagira-t-il quand il apprendra qui est réellement sa femme ? Le célèbre ressort dramatique dit du « ennemies to lovers » marche plutôt bien, bien qu’il manque peut-être un poil de subtilité (pour qu’il en ait, il aurait sans doute fallu que la romance s’étale sur toute la trilogie plutôt que sur un seul tome… mais nous chipotons). On a un peu de mal à ne pas tiquer sur la personnalité du love interest, quand même, même s’il s’améliore au fil des pages.
Dans une ville qui nous évoque La Nouvelle Orléans (peut-être pour l’omniprésence des prénoms français, pour l’importance de la magie et pour les roulés à la cannelle qui rappellent les beignets du café du Monde), Shelby Mahurin développe un système de magie prometteur, et des personnages secondaires plutôt sympathiques (mention spéciale à Coco et Ansel). En toile de fond, l’obscurantisme et le fanatisme religieux, avec une misogynie institutionnalisée qui fait de chaque femme une sorcière potentielle, et donc une recrue possible pour les flammes du bûcher. La peur d’être taxée de sorcière et condamnée à mort résonne dans chacune des femmes de Césarine, les obligeant à faire profil bas et à suivre sans discuter les choix des hommes. C’est joyeusement puant, mais c’est un environnement fécond pour la fiction !
Le résultat est un roman qui, s’il n’est pas exempt de défauts, se lit avec beaucoup de plaisir, se dévore même, car hautement divertissant. La preuve ? On l’a lu en deux jours, malgré la fatigue. On a bien envie d’en découvrir la suite, car les pistes lancées par l’autrice ont l’air prometteuse.
Serpent & Dove, Shelby Mahurin. De Saxus, 2021. Traduit de l’anglais par Axelle Demoulin et Nicolas Ancion.
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