ROMAN ADO — Avec La Vie invisible d’Addie Larue, vous avez pu vous imaginer ce que pourrait être votre vie si on vous oubliait sitôt que vous tournez les talons. Avec le roman de Mar-Romasco Moore, imaginez cette fois que vous êtes invisible, que votre corps et votre visage se dérobent au regard des autres. Personne ne vous voit, jamais. Sauf votre mère. C’est la vie que mène Pie depuis sa naissance.
Sauf qu’un jour, sa mère, invisible elle-aussi, disparaît pour de bon. Pie se retrouve livrée à elle-même du haut de ses dix-sept ans.
Les Invisibles est un roman puissant qui utilise le ressort du fantastique pour aborder des thèmes comme la solitude, le traumatisme, l’introversion et les apparences. L’invisibilité est certes subie par Pie qui est née ainsi : mais pour sa mère, c’est un mécanisme de défense après des abus, un moyen de fuir. La métaphore est intéressante et Mar-Romasco Moore la file avec talent.
Se retrouver seule force Pie à innover et à mettre de côté les nombreuses règles contraignantes édictées par sa mère. La première d’entre elle, c’est de ne pas se faire connaître des gens ordinaires. Pie y dérogera et connaîtra pour la première fois de sa vie des choses que la plupart des adolescents tiennent pour acquis avec, en tête, l’amitié… Le décalage entre le quotidien de Pie et celui d’un adolescent normal est de fait au coeur du récit. Si l’invisibilité donne certaines libertés à Pie qui peut se rendre où elle veut et prendre absolument tout ce qui lui fait envie, elle l’a bien sûr privée de la plupart des interactions sociales qui font le sel de notre existence, sans compter un grand nombre d’expériences jugées normales (comme de voyager dans une voiture, par exemple, ou d’aller à l’école). La boussole morale de Pie est également en décalage avec celle d’un ado lambda puisque Pie est contrainte de voler pour survivre : s’approprier le bien d’autrui est pour elle tout à fait normal. Cependant, auprès des amis qu’elle va se faire dans sa quête pour retrouver sa mère, elle va apprendre et grandir…
Le roman invite tout naturellement le lecteur à aller au-delà des apparences. Si on a tous un jour ressenti l’envie d’être invisible, on comprend très rapidement la douleur lancinante de l’être en permanence depuis sa naissance. Le roman apporte donc une réflexion intéressante sur l’image qu’on a de soi (et que les autres ont de nous), sur la notion subjective de beauté, sur ce que le fait de voir son interlocuteur apporte aux relations sociales… Une question très actuelle à l’heure où nous portons tous régulièrement un masque.
Soulignons enfin un dernier point : la narration fait fréquemment des va-et-vient entre le présent et le passé, grâce à des chapitres courts et percutants. Le procédé est très efficace, de même que le style, adepte des phrases courtes et dynamiques, dont certaines ont la force d’une punchlines. Le résultat est un roman qui se lit tout seul !
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