JEUNESSE — Il y a quelques semaines, sur un coup de tête, j’ai acheté sur une célèbre plateforme d’occasion un lot de la collection « Peur bleue« , rattachée à J’ai Lu, qui a fait le bonheur de nombreux adolescents à la fin des années 90. J’étais du nombre. Mais je n’étais pas encore adolescente…
Des romans fins, avec une couverture d’un beau bleu sombre, des illustrations équivoques, un titre façon argent à chaud : les titres de la collection sont tous formatés pareil et des grands noms d’horreur pour jeunes lecteurs ont signé des romans au sein de cette série, parmi lesquels R. L. Stine ou Christopher Pike. En 1998, il était impossible d’aller au rayon livres d’un supermarché sans tomber sur un de ces romans. À l’époque, j’en ai lu plusieurs : j’étais une enfant fascinée par les histoires de sorcières, de vampires et de fantômes. Je dévorais les Spooksville, les Frousses de Zoé… et donc, les Peur bleue.
Adulte, avec ces romans en main, je n’ai pas tardé à me dire que ce n’était probablement pas une lecture adaptée à mon jeune âge d’alors. Je conservais un assez bon souvenir de la trilogie La Malédiction de R. L. Stine, sorte de pilier de la collection, et je me rappelais de scènes effroyables : des femmes brûlées sur le bûcher, des rues peuplées de cadavres morts de la peste, des gens emmurés vivants, et la description très graphique d’un homme tombé sur la roue à aube d’un bateau sur le Mississippi. Bref, une lecture étonnante pour un enfant de huit ans, pas vrai ? Du coup, je me suis dit : peut-être que j’avais exagéré la violence de l’intrigue ? De fait, j’ai décidé de relire le premier tome, histoire de voir où ça se place en terme de classe d’âge exactement.
Attention, je vais abondamment spoiler ce roman dans son intégralité.
Premier constat : le roman est de fait très court. Il fait à peine plus de cent pages, et ça se lit très vite. R. L. Stine propose une caractérisation très rapide, et brosse avec beaucoup d’efficacité le contexte en seulement quelques pages. L’histoire s’ouvre en Nouvelle-Angleterre en 1692 : le jeune lecteur ne le saura pas, l’adulte peut-être, mais la date n’est pas choisie au hasard. Elle fait écho aux procès en sorcellerie de Salem. De fait, la colonie où vivent les protagonistes est puritaine et plutôt rigoriste dans le genre. Le juge de paix, Benjamin Fear, venu « du vieux continent » n’est pas que le notable du village : c’est l’inquisiteur en chef. L’auteur insiste largement sur sa sévérité et sa cruauté : là où, dans d’autres colonies, on pend les sorcière, ici, on les brûle. Et trois d’entres elles ont déjà péri en quelques mois. La jeune héroïne de ces premières pages, Suzannah Goode, est une adolescente rêveuse et amoureuse… Manque de chance pour elle, elle s’est entichée du fils Fear, qui partage ses sentiments… ce qui va à l’encontre des plans du patriarche, qui, ambitieux, a prévu un mariage de raison pour son fils. Pour se débarrasser de cette idylle embarrassante, il accuse l’adolescente (et sa mère, tant qu’à faire) de sorcellerie. C’est un poil extrême mais passons. Le père de Suzannah est horrifié. Le frère de Benjamin Fear l’approche alors et lui soutire sa maigre fortune contre la promesse de sauver les deux femmes. Le lendemain, Goode découvre que les Fear sont partis en vidant les réserves et les caisses du village. Sa femme et sa fille sont malgré tout brûlées vives pour sorcellerie. L’un des Fier a tué sa famille, et l’autre l’a cruellement trompé. Sa vengeance sera terrible.
C’est marrant parce qu’autant je me souvenais de la scène assez visuelle du bûcher, autant j’avais occulté l’escroquerie commise par les Fier. Ce moment et les pages d’introduction, qui font un bond dans le temps et dans la narration pour raconter un autre incendie, en 1900 ceci, sont assez choquants. J’ai depuis longtemps peur du feu, je me demande si ça ne vient pas tout simplement de cette lecture.
La deuxième partie du roman se passe environ vingt ans après. Goode a maudit la famille Fear. Le vieil homme a longtemps cherché le clan honni dans le but de se venger et ça y est, il les a enfin retrouvés. À partir de là, les scènes dures s’enchaînent : description de corps assez trash (dont celui d’une pendue), tête qui « explose » lors d’un affrontement entre la magie de Goode et celui d’un des frangins Fear, et enfin, ce moment où la troisième génération de Fear, après un troisième bond dans l’avenir, retourne dans la maison de son grand-père et découvre son oncle et sa tante emmurés vivants. Charmant non ?
Autant les ficelles sont grosses (les Fear ont notamment un médaillon ancien, dont l’histoire est détaillée dans un autre roman de la collection, orné d’une phrase en latin qui veut tout simplement dire « le pouvoir par le mal », rien que ça), autant les scènes sont violentes et graphiques pour des enfants. Cela passait peut-être dans les années 90 mais je pense que la collection s’adressait probablement plus aux adolescents qu’aux enfants de huit ans comme moi. Goode comme Fear (les noms sont en eux-mêmes une vaste blague) sont capables de cruauté. La malédiction de William Goode hantera les Fear jusqu’à la dissolution totale de la famille : même l’idylle entre Nora Goode et Daniel Fear en 1900 ne parviendra à étouffer le feu de la haine…
Cette histoire est centrale dans la collection : beaucoup de romans gravitent autour de cette histoire, avec des personnages cruels et rongés par la magie. C’est la « Fear Street Saga », des noms reviennent fréquemment, tout comme la ville de Shadyside, le fameux médaillon ou l’image terrifiante de Suzannah Goode sur le bûcher.
Je terminerai ce long article par un constat : je ne mettrai pas ces romans entre les mains de mes filles quand elles auront huit ans. On attendra plutôt 13 ou 14 ans. Je constitue depuis plusieurs mois une bibliothèque de romans jeunesse pour mes enfants quand elles auront l’âge et la tentation a logiquement été très grande d’acquérir les coups de coeur de mon enfance. C’est donc pour moi l’occasion de les relire avec un regard d’adulte. C’est toujours intéressant.
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