La ballade de Bobby Long : trois paumés à La Nouvelle Orléans

Deux alcooliques et une adolescente, dans une petite maison délabrée de La Nouvelle Orléans : le pitch de départ est étonnant et, s’il n’est pas aisé de rentrer dans l’histoire de prime abord, on ressort de ce roman vraiment touché, et un peu triste de le quitter. Ronald Everett Capps ne nous entraîne pas là où on le pensait.

Bobby et Byron sont amis depuis leur jeunesse insouciante et arrosée à grand renfort de vodka : ils se retrouvent à l’âge mûr dans une chambre d’hôtel de New Orleans, avec leur amie Lorraine. Ils passent leur journée à boire, à se chamailler et à jouer aux cartes. Mais un jour, le fragile équilibre est brisé quand Lorraine décède brutalement. Quelques jours après débarque Hanna, la fille de Lorraine. Elle n’a que dix-sept ans, mais porte un regard acerbe sur la vie. Elle a arrêté l’école en troisième et est plus ou moins entretenue par un pauvre type. Venue initialement récupérer les éventuelles affaires laissées par sa mère, elle va décider de rester. Car Bobby et Byron l’ont persuadée qu’avec eux, elle pourrait renouer avec la vie, faire de nouveaux des projets et surtout, rêver d’une éducation. Bobby et Byron sont épris de littérature autant qu’ils le sont d’alcool et de jolies jeunes femmes : ils vont offrir à Hanna un foyer bancal, et la possibilité de passer son diplôme.

Le trio s’installe dans une masure, et les deux hommes procurent à Hanna un relevé de notes truqué lui permettant d’entrer directement en terminale. Et ils entament un long travail de persuasion, pour convaincre la jeune fille de retourner en cours. Leur but n’est pas noble, loin de là. Ils sont tous deux un peu amoureux de la belle adolescente, et espèrent un jour la mettre dans leur lit, multipliant remarques lourdes et sous-entendus graveleux. Mais, malgré tous leurs défauts et leurs délires d’alcooliques, Bobby et Byron deviennent au fil des pages de plus en plus attachants. Ils sont lourdingues, capables de se montrer cultivés, brillants et vifs, puis terriblement vulgaires et coléreux dans la même conversation. L’un ne va pas sans l’autre. Tous deux se ressemblent tellement qu’ils se confondent presque dans l’esprit du lecteur. C’est un duo au potentiel comique énorme, qui se dispute en permanence comme un vieux couple : mais leur amitié est également émouvante et profonde. Hanna est tombée sur de drôles d’oiseaux le jour où elle a quitté la Floride pour la Louisiane. Courageuse et digne, l’adolescente a dû se construire une carapace pour survivre. Peu à peu, elle se dévoile aux yeux du lecteur.

A lire La Ballade de Bobby Long, on se dit que Ronald Everett Capps s’est probablement demandé ce que ça donnerait si on réunissait trois écorchés vifs dans la décadente Nouvelle Orléans. Et le résultat, c’est un roman qu’il faut prendre la peine d’apprivoiser, et finalement, un récit sensible et touchant. L’écriture de Ronald Everett Capps est visuelle et efficace : tous les lieux du roman semblent sortir de la page pour s’imposer dans l’esprit du lecteur. On croirait voir la petite maison délabrée dans laquelle ils vivent tous les trois, le terrain vague sur lequel se réunissent les SDF du coin, Jackson Sq où se promènent parfois les protagonistes. Le temps de la lecture, nous sommes ailleurs, de retour à La Nouvelle Orléans, dans le tramway de la ligne St Charles qui nous emmène du Garden District aux portes du quartier français, des airs de jazz plein les oreilles, une muffuletta bien garnie dans la main.

La Ballade de Bobby Long, Ronald Everett Capps. Rue Fromentin, 2014. 

Par Emily Vaquié

A propos Emily Costecalde 1154 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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